[J’ai vu] Only Lovers Left Alive de Jim Jarmusch

Publié en 2018

Bonsoir, bonsoir, 

après avoir visionné la proposition cinématographique d’Arte TV, je me suis dit qu’il fallait que je vous en parle, et ce, même si mes idées ne sont pas toutes en ordre, étant donné que je viens pendant 4h de recenser les entrées de végétaux dans un dictionnaire de plus de 680 pages… je vais tenter tout de même ce petit retour que j’opère vers la critique cinématographique, mon premier amour bloguesque… (aah l’amour!)

Infos (merci Wiki)

Titre québécois Les Derniers Amants (c’est toujours stylé un titre québécois)

Réalisation Jim Jarmusch Scénario Jim Jarmusch (il a tout fait dis donc!) 

Acteurs principaux Tom Hiddleston (Adam) Tilda Swinton (Eve) Mia Wasikowska (Ava, la soeur d’Eve) Anton Yelchin (un brave gars) John Hurt (Kit, Christopher Marlowe) 

Pays d’origine : Royaume-Uni, Allemagne

Genre : Film fantastique (en effet, avec des vampires et du sang)

Durée 123 minutes (c’est pas assez long!!)

Sortie 2013

Parlons de « Only lovers left alive » de Jim Jarmusch. Première remarque : le titre. Comme vous le voyez, (ou pas), si on lit le titre très rapidement en clignant d’un demi oeil (ou pas) (et je ne fais pas du tout genre conspirationniste hein), on lit assez confusément « Only left overs », et c’est très intentionnel je pense. (signification = plus que les restes).

Le synopsis ? Pour la faire brève, le film tourne autour de deux personnages : deux amants. L’un s’appelle Adam, il est musicien, reclus dans une vieille demeure de Detroit, il ne sort que la nuit et s’adonne à sa passion pour la musique, surtout le rock et les guitares anciennes. Loin de lui, à des milliers de kilomètres vit l’amour de sa vie, Eve, une intellectuelle, réfugiée à Tanger. Elle aussi ne sort que la nuit. 

Je vais vous dire une chose : je n’ai pas lu le résumé du film avant de voir le film. Je me suis donc laissée aller à la contemplation méditative que propose Jim Jarmusch, le réalisateur de « Dead Man »et « Mystery of Train ». Vous n’avez peut-être jamais vu ses films ? C’est que le cinéma de Jarmusch opère plutôt dans les salles obscures des festivals de cinéma. Ici, c’est à Cannes, pour la 66ème version du festival de la Croisette, que le réalisateur a présenté ce film. Il a été reçu, disons, plutôt froidement.

La première scène, la scène d’ouverture, est tout à fait « non spectaculaire ». La caméra se fixe sur le corps d’Eve et dans un autre plan, le corps d’Adam. Comme dans une peinture romantique ou préraphaélite, on croit les corps sans vie, on voit Eve comme on verrait une Ophélia de Shakespeare, morte, on voit Adam comme un Marat sans vie dans sa baignoire (mais là il est plutôt dans son canapé, agrippé à sa guitare). Les figures sont comme sacralisées, glorifiées, béatifiées. Et puis la caméra, plongée vers le bas, tourne comme le tourne-disque. On se croirait dans « Requiem for a dream » en plein délire, en pleine transe. D’ailleurs la consommation de sang des personnages est une métaphore de la drogue et de la sexualité. La musique nous rappelle un vieux rock psychédélique et entêtant. Puis les personnages ouvrent lentement les yeux, reprennent vie. Mais ils n’ont pas de souffle, seule la beauté glaciale et blanche de Tilda Swinton et l’aspect spectral digne du meilleur Dracula de Tom Hiddleston nous frappent et nous rappellent qu’ils sont des êtres « morts-vivants », immortels ou presque : ils sont des vampires.

Ah, mais c’est donc pour ça qu’ils ne sortent que la nuit ? (eh oui, jeune Padawan)

Dans ce film, Jim Jarmusch propose une sublime parodie qui s’auto-parodie. Très au fait des films de vampires, il a déjà de bonnes bases cinématographiques : à la fois des films anciens et stylisés (le gothique et grotesque Dracula joué par Bela Lugosi en 1931, le mythique Dracula joué par Christopher Lee en 1958, le Dracula plus classique d’un Francis Ford Coppola ou Le Bal des Vampires avec Braaaaad), et des films de vampires contemporains (bon, je dois vraiment faire la liste ? Citons seulement Twilight et le Dracula affreusement érotique et terrifiant de Dario Argento de 2012). 

Mais Jim Jarmusch se débarrasse de toutes ces belles ou mauvaises références (rien n’est ni tout blanc ni tout noir) et crée une oeuvre atypique, complètement décalée, d’une très belle facture et à l’humour assez décapant je dois dire.

Dans une atmosphère nocturne, Jim Jarmusch a su faire de chaque scène un véritable tableau qui rend splendide les moindres éléments filmés : les mains ou les visages, les corps, les coins de murs, les ruelles, les routes dans la nuit, … tout. Dans cette ambiance légèrement oppressante et angoissante, il parvient à garder un bon rythme et un suspense qui ne tient qu’à un seul élément : le mystère qui nimbe d’or et d’argent les deux acteurs principaux. Qui sont-ils vraiment ? Quelle est leur vie ? Au final, on ne saura presque rien d’eux à part qu’ils s’aiment d’un amour ardent, qu’Eve a une soeur et qu’ils connaissent Kit, Christopher Marlowe, le vrai Shakespeare, selon certaines théories (il est un vampire joué par le génial John Hurt).

Tout dans ce film est un trait de génie : tout pourrait être absurde et tomber à côté du sujet, mais finalement, chaque dialogue bien ciselé, chaque remarque, chaque action devient réaliste et non plus grotesque. Le film est totalement crédible! Même lorsque les personnages consomment des sucettes au sang human du groupe O ou qu’Eve offre une sorte de cithare à Adam. Le clin d’oeil à notre monde actuel est assez sombre cependant, les hommes sont des « zombies ». Adam et Eve qui vivent depuis des siècles ne tuent plus aucun zombie pour se nourrir, ils font partie des vampires les plus civilisés : ils se procurent le sang dans les hôpitaux (en découle des scènes totalement hilarantes, je trouve). Mais c’est un rire froid.

Et puis comme dans un roman érudit, Jim Jarmusch livre des références culturelles par-ci, par-là : de ce bon vieux Newton en passant par Shakespeare ou encore Haendel et quelques belles références rock’n’roll (Eddie Cochran par exemple), il fait des guitares des objets passionnants à contempler, d’une balle en bois un élément presque sacré, il fait d’Eve une vampire qui lit les livres plus vite que la lumière, d’Adam un vampire aux tendances suicidaires qui sait jouer du violon comme un maître ou de la guitare et qui trafique des machines pour fabriquer de l’électricité.

Brusquement, le monde autour semble noir, bien noir. Les humains ont détruit leur monde, les zombies sont en quêtes d’eau non polluée tandis que les vampires cherchent le sang non contaminé. Les rues de Tanger semblent s’évanouir dans l’oubli du reste du monde et les routes de Detroit disparaissent dans la désolation et la décrépitude. Les personnages évoluent dans l’ennui. Car c’est un film magnifique sur l’ennui. Que peut-on faire de plus au monde lorsqu’on a déjà vécu des siècles et des siècles, qu’on a connu tant de gens, appris tant de choses, lu tous les livres, joué toutes les musiques possibles ? La question de l’être fini se pose : l’homme par définition en est un, il doit mourir et ne pourra jamais connaître toutes les choses du monde. Les vampires semblent pouvoir tout connaître et tout savoir, et pourtant, cette quête ne les attire pas. Ils préfèrent se réfugier dans l’amour inconditionnel. 

La question du choix se pose aussi. Choisir de continuer à vivre ou mourir ?

Le film est assez caricatural en fait. Mais Jim Jarmusch se joue de cette caricature qu’il a choisi de filmer. Il traite avec beaucoup d’humour distancié le genre du film de vampires. Il livre aussi une sorte de satire sociale, il critique notre monde et notre façon consumériste de vivre, et en même temps, son style est très personnel.

Le côté « dandy » de l’ouvrage de Jim Jarmusch m’a beaucoup plu et semble d’autant plus justifié que tous les vampires de nos références culturelles sont souvent issus de l’aristocratie ou de la noblesse. Ce serait donc des privilégiés ?

Parmi les phrases les plus drôles que j’ai retenues : Eve disant à Adam que « Les voyages c’est chiant » parce qu’elle doit aller de Tanger à Détroit ou encore Adam disant à Eve dans le jardin « Comme quoi, on sait rien sur les champignons » alors que des amanites tue-loup poussent à proximité d’une antenne radio qu’il a trafiquée.

Finalement, j’ai aimé :

– la souffrance et la figure sacralisée des deux vampires Adam et Eve

– le jeu des acteurs, absolument impeccables dans leur rôle

– les scènes magnifiques, dignes des plus grandes compositions de peinture, du gothique, au romantique en passant par le clair-obscur

– et les dialogues qui font mouche !

Bon, après, si vous me connaissez un petit peu, un petit poil, ben, vous savez sûrement que je n’aime que les films où certains m’ont dit « On se fait ch*** biiiip ». En effet, mon film préféré reste tout de même celui d’Abbas Kiarostami « Copie conforme » ou encore les films d’Apichatpong Weerasethakul (je sais même pas si je l’ai bien orthographié…)… donc voilà, hein, vous serez prévenus. J’aime les films où les réalisateurs tournent des films dans des films, des histoires dans des histoires, construisent un méta-langage du cinéma, revisite la syntaxe de l’écriture traditionnelle d’un film pour en faire un objet d’expérimentation personnelle !

Un coup de coeur métaphysique !


Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *