J’ai revu « Rebecca » (1940) d’Alfred Hitchcock [cinéma]

Critique du film « Rebecca » (1940) d’Alfred Hitchcock

Publié le 18 octobre 2013 par Madame Tassa ici (revu en 2022)

Casting: Joan Fontaine, Laurence Olivier

Réalisateur: Alfred Hitchcock

Pays: États-Unis Année 1940

Récompense : Oscar du meilleur film

Hitchcock aux États-Unis…

Rebecca est le premier film américain qu’Alfred Hitchcock a réalisé aux USA. Il est sorti en 1940. Alors, vous allez me dire: « C’est vieux, c’est en noir et blanc, c’est tout pourri..!!! » eh oh!!! on se calme ! 😉 ouverture d’esprit, vous connaissez ?

Une adaptation réussie

C’est ici l’adaptation du roman que l’autrice Daphné du Maurier a écrit et publié en 1938. Il s’agit d’une histoire d’amour, un conte romantique et gothique, qui parle de l’emprise obsessionnelle d’une femme fatale, morte mystérieusement, sur celui qui fut son mari (interprété par Laurence Olivier, « Le Grand » tellement mégalo qu’il aurait aimé ce titre…). Cependant, il choisit une nouvelle épouse, naïve et provenant d’une classe sociale inférieure, juste un an après la mort de sa femme, la bien nommée Rebecca. Hitchcock n’en est pas à sa première adaptation d’un roman de Daphné du Maurier puisqu’il a réalisé La taverne de la Jamaïque, quelque temps plus tôt, et il adaptera vingt ans plus tard Les Oiseaux (1960). Son plus grand regret sera de n’avoir pas pu insinuer plus de choses dans la relation entre Mrs Danver et Rebecca, car les suggestions d’homosexualité étaient taboues et censurées dans les années 40.

Cela commence par une rencontre

Rien de plus romantique qu’une rencontre au sommet. Et pour le coup, au sommet d’une falaise où le pauvre Max se demande s’il ne devrait pas sauter. Heureusement, une jeune femme est là. Elle va le sauver et lui rendre sa bonne humeur. Néanmoins, elle se trouve gênée par sa classe sociale, car elle est l’employée de la terrible et horripilante Mrs. Edythe Van Hopper, une vieille veuve acariâtre, qui est en villégiature « de santé » à Monte-Carlo (un lieu de tournage très apprécié par les cinéastes !). Dans cette scène, Alfred Hitchcock démontre déjà ici sa grande maîtrise du cadre et de l’image, et alors que la caméra filme la mer déchaînée au pied d’une falaise, distillant déjà un indice sur la suite du film, le réalisateur paraît prendre un risque calculé en penchant la caméra en vue plongeante du haut vers le bas puis remontant en contre-plongée vers le pic de la falaise, là où se tient Mr. de Winter, hésitant à sauter. Sa silhouette sombre est parfaitement cadrée dans cette diagonale des plus originales au cinéma.

La patronne de la jeune femme finit par apprendre la présence de Maxim de Winter, riche veuf, celui-là même que la dame de compagnie a sauvé du suicide… les deux se marient très rapidement et Max l’emmène chez lui, à Manderley, terrifiante demeure, dans les Cornouailles, assaillie par tempête, pluies, vents et marrées.

Dès les premières minutes du film, la maestria d’Hitchcock met en scène des visages magnifiés par les lumières, sublimant le noir et le blanc, qui font tout le charme de cette histoire gothique. Joan Fontaine et Laurence Olivier n’ont jamais été aussi bien filmés que par le roi du suspense à Hollywood. La romance est si bien dosée qu’on sent qu’elle a été pensée, seconde par seconde. Les attitudes des actrices et des acteurs révèlent à quel point le romantisme était différent et la situation compliquée pour les femmes encore à la moitié du XXe siècle. Seule Edythe tient tête et fait preuve d’autorité due à son rang et à la force de l’âge. L’âge est une obsession pour Hitchcock qui se ressent dans les dialogues de Laurence Olivier. Ce dernier fait à deux ou trois reprises le vœu que sa nouvelle compagne ne vieillisse jamais (au-delà des 36 ans…), sorte de clin d’œil involontaire à la grande machine hollywoodienne qui broyait les stars, hommes et femmes au-delà d’un certain âge. D’un autre côté, cet aspect du film nous révèle que celui-ci est désormais désuet par ses valeurs, même s’il a marqué son temps.

Des éléments du romantisme et du courant gothique

Alors que les scènes de Monte Carlo sont terriblement lumineuses et rafraichissantes, l’arrivée à Manderley signe enfin le commencement d’une période plus sombre. Lorsque le nouveau couple marié passe les portes de Manderlay, il se met à pleuvoir, une pluie artificielle qui permet à Hitchcock de rappeler aux spectateurs que l’action va se dérouler en Angleterre, dans les Cornouailles, et que la jeune épousée entre dans un monde qui va lui échapper, bien différent du monde qu’elle connaît. Il faut signaler que la jeune femme nouvellement Mrs de Winter n’a pas de nom à part des sobriquets « darling« , « my dear« …, elle est cependant la narratrice et celle par qui nous aurons tout le point de vue interne durant le film. On comprend très vite qu’elle n’est qu’un prétexte pour raconter cette histoire à glacer le sang. Elle est l’incarnation d’un désir d’auteur ou de cinéaste, et ne répond souvent qu’à des injonctions ou des reproches. Elle correspond à un modèle stéréotypé du cinéma hollywoodien qui sera repris dans la plupart des thrillers.

Si les scènes romantiques tournent vite à la confrontation entre le mari et la femme, il est intéressant de préciser que Joan Fontaine et Laurence Olivier ne s’entendaient pas du tout sur le tournage et qu’Alfred Hitchcock avait tendance à « maltraiter » ses actrices. Mais comme il le dira lui-même, ce film est avant tout l’histoire d’une maison. Ce sont effectivement les décors qui confèrent à ce long métrage une touche terrifiante et mystérieuse. La demeure de Manderlay, la plage, la cabane sur la plage, les secrets, la gouvernante Mrs. Danvers qui se montre glaciale et secrète, mais qui semble appartenir à la maison comme un meuble, sont autant de signes empruntés au gothique pour sublimer l’intrigue : la mort étrange de Rebecca.

La nouvelle épouse, vue comme une intruse et une usurpatrice, dérange donc le mobilier : elle casse une statuette, ne sait comment ouvrir les portes, erre dans les couloirs à la recherche des fantômes du passé.

Un fantôme ?

L’esprit de Rebecca hante les moindres recoins du film, un véritable succès au niveau suspens et écriture scénaristique. La vision d’Hitchcock sublime le film dans des noirs profonds, des plans lents et très longs où l’on se demande ce qui va arriver. Des indices sont éparpillés savamment dans toutes les scènes du film, de la tentative de suicide de Maxim, en passant par les mots d’Edythe sur Rebecca, jusqu’aux jeux d’ombres dans Manderlay. Pour Rebecca, Hitchcock remportera l’oscar du meilleur film (récompense attribuée au réalisateur et au producteur, David O. Selznick).

Hitchcock n’y traite d’ailleurs pas que de fantômes. Il prend plaisir ici à manipuler les spectateurs en parlant de son sujet de prédilection : la folie (Psychose). On ne sait jamais si Maxim est totalement innocent dans cette histoire, de même que pour Mrs Danver. La caméra tourne non plus en plans fixes, elle suit les mouvements de Joan Fontaine et reste à sa hauteur. Le montage, bien que souvent modifié par les désidératas des producteurs, est rythmé et intelligent. On passe ainsi d’un regard effrayé à des plans de détail, à des plans larges qui montrent l’ampleur des décors rendus possibles à Hollywood : le vent qui fait flotter des rideaux, un plan serré sur le portrait de Mr. De Winter, ou sur le coussin brodé d’un R… jusqu’aux scènes d’incendie qui restent un modèle du genre pour les studios par la suite, et ajoutant à la dramaturgie une forme d’expressionnisme qui déforme la réalité et angoisse plus amplement le public. 

Une révolution

Ce film signe le lancement de la période Hitchcockienne qui battra son plein à Hollywood après 1950, adulé par certains, haï par beaucoup de femmes, le cinéaste livre un chef-d’œuvre qui contient le cahier des charges de tous les films qu’il tournera ensuite de 1940 à 1980 (Psychose, La Mort aux trousses, Vertigo, Les Oiseaux, etc.). Rebecca est son premier film tourné aux États-Unis d’Amérique ; il suit la grande mode des adaptations de bestsellers et grands classiques à l’écran, comptant sur le succès du roman pour faire de bons chiffres dans les salles (dans les années 40 on trouvera adaptés, entre autres : Docteur Jekyll et M. HydeLe Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde; Le Diable au corps de Radiguet, La Chartreuse de Parme de Stendhal, etc.).

Son adaptation du roman de Daphné du Maurier est très réussie, la construction du film par rapport au roman est assez fidèle. Il s’agit là de l’adaptation la plus réussie pour le moment de toutes celles pour la télévision ou pour Netflix sorties aujourd’hui. [Dont cette adaptation récente sur Netflix que j’ai détestée]

Note – intense, mais désuet 16/20

Signé Tassa


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