LoveArmy, Où es-tu Jérôme ? Le documentaire de Charles Villa [Avis]

Le documentaire de Charles Villa diffusé sur Amazon Prime souhaite mettre en lumière l’ombre passée de Jérôme Jarre, influenceur des années 2000, ayant acquis sa réputation de très courtes vidéos virales sur Vine, puis sur tous les autres réseaux sociaux connus aujourd’hui. Sa célébrité l’a mené à côtoyer d’énormes stars hollywoodiennes, de Robert De Niro à Ben Stiller en passant par DJ Snake et Omar Sy. Plus célèbre alors aux États-Unis qu’en France-même, il est revenu en force dans l’hexagone avec son idée de l’armée de l’amour ou le hashtag LoveArmy, devenu lui aussi viral en quelques semaines après les attentats de Nice en 2016. Le hashtag poursuivit sa course folle, plus tard pour la cause somalienne et enfin pour celle des Rohingyas au Bangladesh.

Charles Villa, journaliste reporter des crises humanitaires, filme à la manière des années 2020s : c’est-à-dire à la manière de Brut, (un média numérique) ou à la manière des centaines de documentaires de plateformes en ligne telles que Netflix ou YouTube dont le but principal est de vous faire rester jusqu’au bout. Cette façon de tourner n’est pas très nouvelle. Elle naît de la télévision et de sa capacité à garder les spectateur•ices en éveil tout au long d’épisodes qui se terminent toujours en suspens sur un mystère ou une question épineuse, qui parfois ne trouvent pas de dénouement final. C’est un peu l’inverse des documentaires Arte, en fait. C’est le cas de cette série de 5 épisodes dans lesquels Charles Villa tente d’évoquer l’hypothèse de la mégalomanie de Jérôme Jarre, sans pour autant aller jusqu’au bout de sa piste. 

Au lieu de statuer sur la personnalité troublante et troublée de Jérôme Jarre, il finit par asséner des faits, des statistiques et quelques preuves textuelles de l’incapacité et de l’incompétence de Jarre face à la question humanitaire des Rohingyas. Or, cela finit par se retourner contre son propre reportage. Que peut-il nous montrer de plus que ce que nous ne savons pas déjà ? Le manque de transparence de Jérôme Jarre n’est rien d’autre qu’une goutte d’eau dans la mare qu’ont déjà inondée bien des millionnaires ou milliardaires, bénéficiant du statut de philanthropes. Jérôme a certes un profil particulier par rapport aux autres : il est un influenceur. Il est devenu une sorte de « milestone », jalon historique des personnes marquantes dans l’humanitaire, au même titre que des grandes stars ayant fait beaucoup parler d’elles, comme Angelina Jolie, ou bien des stars de la pop et du rock, tel que le groupe Queen lors du concert Live Aid. 

L’originalité est donc aux abonnées absentes. Toutefois, ce qui est intéressant, c’est la manière que Villa a de convoquer des témoins à l’action de Jérôme Jarre. Il interviewe tour à tour les personnalités que l’influenceur avait réussi à fédérer sur les lieux de l’exil forcé des Rohingyas, sans même expliquer à personne – et peut-être ne l’avait- il pas compris lui-même – la gravité de la situation dans son contexte international et géopolitique. Il interviewe aussi des humanitaires, membres d’ONG et Marc Trévidic, ancien juge antiterroriste. Il explique comment ce charismatique créateur de contenu a pu attirer, tel le Messie, tant de personnes reconnues et connues, pour finalement céder à l’ONG de son choix plus de 2,1 millions d’euros, se laissant guider par des associations plus que questionnables. 

En dénonçant les travers de Jérôme Jarre dans cette affaire, Villa dénonce aussi les travers de l’influence, le mauvais côté du miroir, l’envers en quelque sorte. Il argumente en soulignant la crise qu’aurait connue Jarre, un « burn-out » lié aux réseaux sociaux – et l’on veut bien croire que cela fut brutal. Malgré tout, permettez-moi d’être dubitative avec tout cela. Ce n’est, selon moi, pas seulement la question des réseaux sociaux qui l’a amené à ce problème éthique dans l’action qu’il a menée, ni celui de la personnalité égocentrique de Jérôme Jarre, dopé à la dopamine, hormone du bonheur et à l’adrénaline liée à la récompense de l’amour envoyé via des milliers de likes et de retweets. Non, selon moi, ce problème est sans cesse répété, que cela soit par un énième influenceur, une star de cinéma, de la chanson ou bien un homme politique parachuté à la tête d’une ONG.

Le problème n’est donc pas là. Il n’est pas dans la disparition soudaine de Jérôme de tous les radars sociaux. Ce documentaire est né d’un besoin de réponse personnelle et individuelle chez Villa et tous les autres que l’on entend dire qu’ils et elles ne se doutaient pas …

Il n’est pas question ici d’une arnaque. Ni d’un coup monté. Ni d’un véritable mensonge éhonté. Parce que toutes les ONG communiquent un peu de cette façon. Toutes les personnalités publiques de notoriété le font aussi. Quand il s’agit d’humanitaire, – et cela a été prouvé par de nombreux chercheurs et chercheuses, – en particulier pour la crise à Haïti, – l’exagération est de mise. L’hyperbole est pratique. Le marketing est utile. Si l’on exagère pas les faits ou les résultats : qui continuera à donner ? C’est la grande vague du Fake it until you make it(mentez jusqu’à ce que cela arrive vraiment). Jérôme Jarre n’est qu’un autre homme occidental à l’âme sensible mais inconséquent.

Il n’est pas le seul. Voilà toute l’affaire. C’est dommage que ce documentaire ne le dise pas franchement.


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