Barbie, White-pink-washing ?

Quelle est la place de Barbie dans nos sociétés aujourd’hui ? Eh bien récemment, preuve a été faite que Barbie est littéralement partout dans nos imaginaires, jusqu’au cinéma. Mon avis n’est pas tendre, et pourtant chaleureux, car évidemment rien n’est si simple.

Voir l’image ici.

Films mentionnés :

– Barbie de Greta Gerwig (2023)

Legally Blonde (La Revanche d’une blonde)


Dernièrement, j’ai rédigé cette publication Instagram au sujet de Barbie : 

Chronique rapide du film Barbie :

Ce que j’ai pensé de Barbie n’a pas vraiment d’importance🩷

Ce qui a une importance :

  • c’est comment les gens se sont emparé du phénomène
  • comment le film a été perçu et critiqué

Parce que c’est un phénomène de société, n’en déplaise aux personnes chagrinées par le côté marketing de l’affaire.

Le film 🍿 a deux narrations :

  • l’intrigue, le scénario que Margot Robbie, Greta Gerwig et Noah Baumbach ont fini par écrire et valider
  • et le storytelling du film : comme il a été marketé, vendu.

C’est un film-produit et le seul qui parle de jouets ET de féminisme.

Et si pour beaucoup de féministes, le film ne va pas assez loin, c’est qu’il est déjà le dinosaure des films à gros budget féministes. Peut-être est-il d’ailleurs le seul. On l’appellera le film 0, le Mastodonte du pinkwashing.

La revue Septième Obsession en parle très bien. Les journalistes y évoquent TOUS les films qui traitent du « jouet ».

Et la plupart du temps, ce sont des films clichés :

  • le jouet qui fait peur (Annabelle, Chucky)
  • le jouet qui est l’enfant (Pinocchio)
  • le jouet parlant et la fable initiatique (Disney)
    etc.

Les premières tentatives de filmer Barbie en animation ont été des échecs parce qu’elles ne retranscrivaient rien d’universel, et comportaient des clichés sexistes (la fille et la princesse).

Barbie de Greta Gerwig prend les choses à l’envers et pardonne à Mattel sa période rose bonbon et stéréotypée. Pour en parler, Gerwig découd un à un les clichés, de Ken en passant par la perfection maniaque de Barbie, en distillant çà et là l’idée du patriarcat (et je peux vous assurer que les ⅔ de la salle ne devaient pas savoir de quoi il s’agissait avant de voir le film), de la masculinité, de Barbie conçue comme femme-objet, etc.

Grâce à quelques pirouettes scénaristiques un peu trop faciles, quelques entourloupes un peu naïves, Barbie idéaliste finit par fricoter avec les « ratés », celles et ceux qui n’ont pas passé l’étape de conformité chez Mattel.

La confrontation de Barbie avec le vrai monde est un peu ratée. Même si, comme dans Toy Story, l’un des films les plus réussis de Pixar, elle ne trouvera son véritable sens que dans le vrai monde.

Barbie, un film un peu raté ?

Le film Barbie a, selon moi, un avantage crucial : c’est un objet social. Un miroir de nos sociétés. Sa réalisatrice Greta Gerwig y utilise un langage inexistant auparavant au cinéma. Du moins, elle utilise le langage féministe des années 2000, crûment, avec honnêteté et sérieux. Parce qu’auparavant le féminisme a toujours « existé », sans les mots pour le dire. Il est un champ lexical nouveau qui permet de proclamer haut et fort la légitimité de bien des films portés par des femmes, actrices, comme cinéastes. Par exemple, Legally Blonde (La Revanche d’une blonde) dont j’ai parlé ici, amène au message féministe par le biais des stéréotypes les plus connus (la blonde). Dans Barbie, le féminisme est amené d’une manière semblable, toutefois légèrement différente. Car contrairement à Reese Witherspoon, qui évolue dans un monde réel, Barbie existe seulement dans un univers de plastique. Elle finit par briser ce côté factice et artificiel en basculant dans le monde réel. 

L’ojectification de la femme, c’est Barbie dans toute son enveloppe plastique. Elle est l’évocation matérielle du conservatisme patriarcal. Version jouet. Quand on regarde Barbie, on ne voit pas une poupée, on voit une femme que les petites filles manipulent. C’est là la grande différence avec les films ou séries Tv de femmes fortes en mode Buffy Contre les Vampires ou Ally McBeal. Barbie est, selon le marketing bien rodé de Mattel, le symbole de l’indépendance et de l’émancipation faite femme. Les féministes les plus hard-core ne lui reconnaissent néanmoins aucune de ces qualités. Pour nombre d’entre elles, Barbie est un symbole du patriarcat et du capitalisme néolibéral. 

Cette approche par le jouet a donc un intérêt particulier dans ce film. Outre un enjeu esthétique qui consistait à reconstituer les décors incroyables de la Barbie depuis les années 70-80 à nos jours, il a fallu donner corps à Barbie et à son entourage. Comme au supermarché. Comme dans le magasin de jouets. Le choix du casting avec Margot Robbie, également productrice et de Ryan Gosling, est judicieux. Tous deux acteurs les plus « bankables » au monde, ils sont l’archétype même des corps objets hollywoodiens et du couple fictionnel. 

Cependant, ce choix ne masquera pas les défauts du film qui sont nombreux. Même si vous ne verrez pas beaucoup de films de jouets qui parlent de patriarcat et de remise en cause de la masculinité, il subsiste quelques détails qui chiffonnent tout au long de cet excellent long métrage :

– le principal défaut du film Barbie est qu’il dénonce le côté plastique et « matérialiste » des choses, dans le sens, « personnes attachées à la jouissante de biens matériels », alors que le choix esthétique du film est de coller à tous ces stéréotypes. Greta Gerwig et sa décoratrice ont choisi de filmer des corps rendus beaux par la caméra, les costumes et le maquillage et même les poupées « ratées » ou accidentées, sont embellies. Parmi les films de « poupées », l’on sait bien qu’un autre choix est possible (sans aller jusqu’aux films d’horreur Annabelle et Chucky).

– le film Barbie ne met pas en valeur les personnages secondaires. Ils sont totalement laissés à l’abandon par le scénario, qui en fait pourtant tout un foin pour montrer des personnages variés, les amies de Barbie, la « propriétaire de Barbie », Alan, les habitants de Barbie Land, etc. En guise de caution inclusive, Greta Gerwig a multiplié les acteurs et actrices issus de la diversité sans en faire des personnages utiles à l’intrigue. Ils et elles sont là, physiquement. Rien de plus. 

– le film Barbie veut être une satire sur la masculinité mais devient très rapidement une satire du féminisme. On ne sait pas à quel moment, la vapeur s’inverse, mais le long métrage devient bancal dès lors que Barbie visite le monde réel. Si bien qu’on a l’impression de sortir du film sans comprendre où est la critique. 

– le film Barbie vend bien la poupée de Mattel. À tel point que cette publicité géante s’enfonce elle même dans de l’auto-promotion. Les scènes délirantes au siège de Mattel sont construites de telle sorte qu’on ait l’impression d’y voir une critique du capitalisme. À deux choses près : le patron (Will Ferrell) est dépeint comme quelqu’un qui ne veut que le bien des petites filles, et l’émancipation des femmes qu’elles deviendront … il est lui-même un enfant qui ne grandit pas… et le mal réside surtout dans ce que la société a fait de Barbie. Le mal vient donc de l’extérieur et non de Mattel. Vous, les femmes, êtes fautives dans l’usage que vous avez fait des barbies et dans ce que vous êtes devenues … en gros. C’est ce qu’on croit comprendre entre les lignes. Des critiques ont dénoncé le pink-washing ou le White-washing du film. 

Pinkwashing est un mot-valise anglais, formé sur le modèle de whitewashing, en remplaçant l’adjectif white par pink. C’est le procédé mercatique utilisé par un État, organisation, parti politique ou entreprise dans le but de se donner une image progressiste et engagée pour les droits LGBT. Wikipedia

En dépit de ce discours caché du film (enfin caché, c’est vite dit), Barbie n’est pas que raté, il est aussi un film miroir de nos sociétés. Sans cette réflexion féministe, le cinéma échouerait à démontrer sa capacité à se remettre en question et à analyser l’actualité. Le délire haineux qui a jailli de cette sortie tant attendue sur les réseaux sociaux, est la preuve que le cinéma a encore du travail et de l’effort à donner dans l’acceptation d’un féminisme qui ne passerait plus ni par le cliché, ni par la satire.

Un très beau film pionnier 

À la sortie de la séance, j’ai entendu bien des critiques d’un public de très jeunes femmes ou jeunes filles décontenancées par le message. En effet, le film Barbie peut ne pas être compris de tout le monde. C’est pourtant la critique que je trouve la plus stupide : les journaux conservateurs se sont empressés de dire que le film n’était pas tout public, alors qu’en fait il l’est. Beaucoup ont empêché les parents d’y amener leurs enfants via une campagne de dénigrement sur les réseaux sociaux. Une forme de censure est apparue à cause notamment de la dernière phrase du film faisant allusion aux parties génitales. 

Il n’y a pas manière à dénigrer ce film. On ne peut nier ses qualités esthétiques et narratives. Dans le genre comédie de jouets, Barbie verse dans le plus pur style américain : donnant à voir de la danse, des scènes chantées, des costumes et décors incroyables et des courses poursuites. De surcroît, Greta Gerwig et Margot Robbie distillent un goût unique au genre de la comédie : le female-gaze, la comédie féminine par les yeux d’une (voire plusieurs) femme et non le regard libidineux d’un homme. Ce qui reste tout compte fait plutôt rare à Hollywood. À quelques exceptions près, Lucia Aniello avait réalisé Pire Soirée avec Scarlett Johansson, Greta Gerwig avait déjà réalisé le génial Lady Bird en 2017, en France Géraldine Nakache avait fait le très bon Tout ce qui brille. Les comédies réalisées par des femmes avec une femme dans le rôle principal se comptent sur les doigts d’une main… c’est peut-être là que nous devrions remercier Barbie d’être une de ces pionnières-là. 

Il ne faudrait pas oublier que ce film est américain et que l’Amérique ne s’est toujours pas débarrassée de ses propres fantômes. Toujours pas de femme présidente aux États-Unis, comme dans beaucoup d’autres pays (relisez les campagnes sexistes anti Hillary Clinton). Nancy Pelosi reste la seule et première femme présidente de La Chambre des Représentants (2007-2011 et 2019-2023). Le taux de chômage a augmenté chez les femmes hispaniques et noires américaines. Et toujours pas d’égalité salariale. La remise en question du corps des femmes via l’interdiction de l’IVG dans certains états nous invite à relativiser l’apport progressiste d’un tel film par rapport à la France. Pour certain•es, Barbie est un film utile. 

Signé Tassa


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