Le cinéma plan plan [poil aux dents]

Au cinéma, on dit qu’il existe un art de soigner les regards. Parfois, cet art est bafoué. Mettons de nouveau deux films en parallèle pour comprendre qu’il y a deux façons de réaliser un long métrage. J’ai vu Sous le même toit de Dominique Farrugia (peut-être son pire film?) et Marie-Francine de Valérie Lemercier.

Le premier raconte l’histoire d’un couple qui divorce mais qui doit vivre sous le même toit après que leur amour l’un pour l’autre se soit éteint. Le second film parle d’un couple qui se sépare car le mari a trouvé une autre femme. 

Films mentionnés entre autres :

Sous le même toit de Dominique Farrugia

Marie-Francine de Valérie Lemercier


Sous le même toit

Le premier film tombe dans un écueil insupportable : toute l’histoire est racontée du point de vue interne du mari. Pourtant, ce qu’il aurait fallu faire : c’est de garder la vision des enfants. Le film de Farrugia cumule les aberrations scénaristiques et les absurdités cinématographiques. Tout est cousu de fils blancs et la fin est très convenue. La seule scène intéressante est celle lors de laquelle Gilles Lellouche frappe à la porte de tous ses amis pour se faire rembarrer, notamment par Dominique Farrugia.

Les clichés s’enchaînent dans ce cinéma mou du genou. Louise Bourgoin, excellente actrice, n’est pas à sa place dans ce film qui ne la met absolument pas en valeur et l’entraîne dans une série de crises de nerfs et de vengeances nymphomaniaques, vision toujours fantasmée par les hommes. Les enfants surjouent un peu même s’ils sont la seule bonne surprise du film. Le meilleur ami, Manu Payet, est irritant au plus haut point, dans le rôle de celui qui couche avec tout le monde et finit par se ranger à la fin du film. On a envie de se demander : mais pourquoi rendre hommage à de gros clichés du cinéma qui sont inlassablement les mêmes ??? Pourquoi ne pas s’en affranchir ? 

Le divorce est partout dans le cinéma. Aux États-Unis dans Kramer contre Kramer, ou dans des comédies plus légères du type The Holiday et Triple Alliance. Sauf que voilà, les films que je viens de citer ont des partis pris purement féminins. Ce n’est pas le cas de Sous le même toit qui célèbre une espèce de machisme effroyable incarné par Gilles Lellouche, que personnellement j’ai du mal à supporter. L’indécence va jusqu’au point où ce dernier se permet des commentaires se moquant du physique de sa femme prenant un bain. Sexiste donc. Là où Papa ou maman excelle dans la caricature (j’avais vraiment beaucoup aimé), Sous le même toit n’est qu’une addition de clichés éculés et lourdingues d’un autre temps. On préfère l’originalité dynamique des films US comme Mrs Doubtfire et Ma meilleure ennemie de Chris Colombus, spécialiste du divorce. Bref, ne restons pas trop longtemps sur un échec, ou plutôt une erreur que je ne vous conseille pas.

Marie-Francine

Et passons à Marie-Francine de Valérie Lemercier. Il s’agit là d’un excellent film. Je l’ai adoré du début à la fin. Marie-Francine interprétée par Valérie Lemercier est une femme divorcée qui doit partir vivre chez ses parents. Ces derniers tentent de la caser avec un homme. Teinté d’un véritable regard comique et décalé sur la société bourgeoise à laquelle Marie-Francine et Valérie appartiennent toutes deux, le film se joue des clichés en y ajoutant une pointe féministe qui fait du bien. Valérie Lemercier n’a jamais été aussi bonne qu’en reprenant le rôle qu’elle jouait en seule en scène. Ici elle campe une chercheuse dont personne ne comprend le métier et qui doit apprendre à réinvestir sa vie sociale et affective. La caméra filme avec une certaine sensibilité, surtout lorsque Patrick Timsit entre en jeu. On pourrait alors parler d’un vrai charme à la française, qu’on ne retrouve jamais dans un cinéma américain : Marie-Francine, le visage épuisé, fumant sa clope au comptoir de son magasin d’e-cigatettes (oui, elle s’est reconvertie), paraît vouloir autosaboter son activité en tentant de ne pas vendre sa marchandise. Derrière tout ça se cache une véritable tendresse envers la figure féminine devenue trop vieille pour son mari (Denis Podalydès est partout ! Et il y a peut-être meme un clin d’œil à Mrs Doubtfire lorsqu’il se travestit en femme). S’il y a un certain cynisme dans le scénario (vous n’échapperez pas à la vulgarité à la Française malgré l’élégance, les papiers peints fleuris et les moulures au plafond), tout reste bienveillant et doux, pour une romance qu’on ne voit presque jamais en salle : celle d’adultes de plus de cinquante ans. Le tout reste assez lisse et un peu ronronnant contrairement au plus satirique Palais royal !

À retenir

On retiendra donc trois choses :

– pour parler de divorce au cinéma, c’est toujours mieux d’avoir un point de vue équilibré, soit en assumant les clichés et en les manipulant, soit en proposant un point de vue originale (celui de la femme ou des enfants tant qu’à faire !).

– pour que les spectateurs ressentent de l’empathie pour une classe bourgeoise, il faut faire preuve d’autodérision et de modestie et ne pas jouer le gros lourd avec ses gros sabots.

– pour que la fin ne soit pas trop convenue, il faut de bons personnages secondaires avec de séduisantes intrigues secondaires, en travaillant sur le cadre de chacun des protagonistes. Marie-Francine y arrive très bien puisque les seconds rôles sont tous géniaux, proches de la comédie sociale (surtout les parents ultra bourges attendant Secrets d’histoire de Stéphane Bern). Tandis que Sous le même toit est constitué d’une galaxie de très mauvais personnages, poncifs du genre de la comédie romantique. 

Cette fois, je conseille donc de regarder Marie-Francine, parce que j’ai passé un bon moment avec elle, cette femme toute en retenue à l’opposé de la caricature bourgeoise des Visiteurs. Dans tous les cas, les deux films ont sûrement le défaut de s’écouter parler. Peu de place réelle pour le cinéma tel que je l’ai décrit plus haut : soigner les regards, même si Marie-Francine cultive le sens d’une esthétique puriste issue du cinéma d’auteurs, alors que le film de Farrugia est tourné au marteau-piqueur ou avec la b*te. Désolée. C’était le mot de la fin. Je crois que j’essaye de m’émanciper aussi, et de m’approprier les codes de la chronique ciné, sachant que la plupart des critiques de films sont écrites par des hommes sur Allociné et Sens Critique. 🤭🤭😁 Pour le reste, j’ai toujours été très sérieuse.

Tassa


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