Filmer la crise masculine au cinéma

J’ai continué plus avant dans ma roulette russe des films regardés au hasard sur Prime Video et je suis tombée dans une dimension irréelle du cinéma français. Une sorte de métaphysique du film de l’entre-jambes ou non plutôt de l’entre-soi se dessinait à moi. Des hommes paradant en caleçon sur des parquets lustrés. Un cinéma rigolard franchouillard développé autour de théories bourgeoises et virilistes, dans lequel les hommes rêvent de rester jeunes, ou bien des enfants. Ça y est j’utilise le mot bourgeois alors même que je dénonce ce mot. Je n’aime pas les étiquettes. Force est de constater que les deux films que je viens de regarder sont la définition même de ce mot.

Films mentionnés entre autres :

Rock’n’roll de Guillaume Canet (2016)

Libre et assoupi de Benjamin Guedj (2013)


Rock and roll

Dans Rock’n’roll et Libre et assoupi, deux films que j’ai regardés récemment, les rôles principaux sont respectivement attribués à Guillaume Canet et à Baptiste Lecaplain. Dans le premier, Guillaume Canet réalise et signe le script tandis qu’il joue son propre rôle dans un exercice réflexif périlleux qui aurait pu le mettre directement dans la no go zone du cinéma français. Dans le second film, Baptiste Lecaplain joue un petit branleur qui n’en fiche pas une, ce n’est pas moi qui le dit mais il se décrit à peu près comme cela.

Dans les deux longs métrages, les deux rôles masculins traversent une crise virile, l’un de la quarantaine et l’autre de l’après fac. Là où Guillaume Canet semble assumer la stature comique de son propre rôle, Baptiste Lecaplain a bizarrement l’air de débiter des phrases à côté de la plaque pour une publicité de dentifrice.

Guillaume Canet s’est équipé d’une steadycam ou en tout cas d’une caméra à l’épaule qui vibre et tremble en suivant l’acteur dans ses déboires au cinéma. L’image devrait en paraître plus réaliste, c’est en fait une manière de filmer qu’on voit dans beaucoup de comédies comme dans les séries comiques ou les mockumentaries (les parodies documentaires) tels que The Office ou Between Two Ferns, entre autres. Dans Libre et assoupi la caméra filme en plan fixe comme dans une pub pour fournisseur d’accès à internet.

On connaissait déjà Canet pour Ne le dis à personne et Les petits mouchoirs (entre autres) deux exercices de style différents, et pas du tout semblables, l’un lui ayant rapporté la reconnaissance des pairs (récompensé aux César), l’autre lui ayant apporté la reconnaissance du public (en millions de spectateurs).

Qu’attendre alors de Rock’n’roll à part un pastiche de la comédie américaine à la Woody Allen ? Parce que là où il excelle finalement c’est dans l’espèce de comédie transformiste qu’il nous offre. En craignant de devenir ringard, l’acteur Guillaume Canet (dans le film) opère une transformation radicale et physique de sa personne. On n’ose imaginer le temps passé auprès du maquilleur prothésiste… On dirait presque le chanteur The Weekend avec ses faux visages, ou bien des corps grimés et travestis mais à l’opposé de Mrs Doubtfire ou de Tootsie. La virilité est un sujet courant à Hollywood. Elle a donné lieu à des films testostéronés comme Raging Bull, ou de fragiles Happiness Therapy ou bien encore de très maladroits Ce que veulent les femmes, bien que beaucoup plus travaillés sur cette fragilité masculine. Dans le genre, quelques films de crise adolescente et adulte sont parfois quelque peu meilleurs (Les Gamins, Les Beaux GossesTed ou Nos pires voisins…).

Libre et assoupi

De son côté, Baptiste Lecaplain fait l’expérience d’une co-location avec une Charlotte Le Bon et un Félix Moati rayonnants à en devenir lourds. Il s’apprête à nous démontrer qu’on peut bien jouer en ne faisant rien dans un canapé, ce qui aujourd’hui a donné Bloqués sur Canal+ avec Orelsan et compagnie. Parler de la crise masculine est difficile désormais si on ne veut pas tomber dans la caricature. Que voulez-vous !

Qu’il s’agisse de Canet ou de Benjamin Guedj réalisateur de Libre et assoupi, les deux films critiquent en quelque sorte les bobos au cinéma. Seulement, les scénarii ont le fâcheux désavantage de démontrer l’inverse de ce qu’ils dénoncent. Chez Guillaume Canet, dans son propre rôle entouré d’acteurs jouant leur propre rôle (Gilles Lellouche, Johnny Hallyday, Yvan Attal…), le film égrène des répliques respirant l’entre-soi, ce dernier se gossant des couilles de François Berléand ou de la tronche de Pierre Niney remportant un César. Or, combien de spectateurs peuvent comprendre les blagues cinéphiles de Canet sur ses amis du cinéma ? Personne à part un petit cercle très restreint d’amateurs et amatrices des salles obscures lisant Télérama ou Les Cahiers du Cinéma (et je me compte parmi eux).

On sent alors qu’on ne sort pas encore du milieu bobo parisien dont les deux films veulent s’affranchir. Pourtant, il y a quelques propositions solaires et originales. Marion Cotillard est poussive à telle point qu’elle joue parfaitement l’actrice folle et désespérée, adepte de la méthode Lee Strasberg de l’Actors Studio, s’entraînant pour avoir l’accent québécois afin de tourner dans le film du très prisé Xavier Dolan… c’est peut-être un rôle en or que lui a offert Guillaume Canet, qui lui fait interpréter celle vers qui est tournée toute l’attention, à qui revient tous les César et les films à Oscar, alors que lui dépérit dans des films régionalistes voire des téléfilms ennuyeux.

Les deux films ont aussi le terrible défaut de peindre des personnages têtes à claques. Guillaume Canet se fait lui-même défoncer par les frères Yvan et Alain Attal à l’écran tandis que Lecaplain plane de manière absurde dans un Paris carte postale flanqué d’une Charlotte Le Bon puis d’une « Valentine Caillou » en mode Amélie Poulain.

Est-ce une histoire d’immobilisme masculin ? La peur de vieillir et de ne plus rien faire au cinéma. La peur de s’ennuyer dans le monde du travail et de s’engager. Voilà les deux portraits que nous livrent ces films. 

Guillaume Canet fait mine d’avoir une obsession pour sa couille endolorie, tandis que Lecaplain et Moati parlent de branlette sur un canapé rouge. Faire parler les hommes devrait être intéressant à tout point de vue. Ça pourrait même dépeindre une certaine réalité. Et pouis en fait (oui, je prends l’accent contagieux et très mignon de Charlotte Le Bon), le tout fait FLOP !

Entre-soi de la c*uille

« On est pas bien là ? Décontractés du gland ? » Nous dit Félix Moati déambulant en slip dans un musée. Cette passion pour les corps viriles, Canet l’exprime aussi en sculptant le sien aussi mou qu’un flambi au début du film. Celui-ci veut proposer une critique du monde consumériste et matérialiste du cinéma, qui le fait se sentir hors circuit et trop vieux pour des rôles de jeunes premiers… tandis que la réalisation de Guedj avec Lecaplain veut blâmer la société capitaliste et libérale prônant une vie de dure labeur. Doit-on suivre les diktats et les tendances ? Doit-on s’émanciper des contraintes de la société en général ? Au départ, chaque synopsis était prometteur. Mais les deux finissent par s’enliser dans un drôle d’entre-soi protégé, sans jamais frôler le risque de vivre à la marge comme c’est le cas de tant de gens. Car on peut se poser la question : y a-t-il réellement un risque pour un homme de vieillir ou d’entrer dans la vie adulte ? La réponse est bien sûr que ce sera toujours plus difficile pour une femme que pour un homme cis aujourd’hui. 

« IL FAUT FAIRE COMME TOUT LE MONDE », voilà ce que les films veulent dénoncer. Une forme d’oppression peu crédible sur des hommes de cet acabit. En vérité, on assiste presque à un échec des deux films dans ce qu’ils souhaitent dénoncer, même si les deux ont des qualités qu’il ne faut pas ignorer, bien qu’ils frôlent l’autosatisfaction.

La transformation physique de Guillaume Canet est dérangeante et j’avais moi-même du mal à accepter son corps et son visage, au croisement d’un David Hasselhoff ou d’un Jean Claude Van Damme ayant raté leurs injections. Pourtant, c’est la deuxième moitié du film qui est la plus originale, par rapport à sa crise existentielle à base de cocaïne et de fesses dans la première partie. J’aurais souhaité que le film ressemble plus à la séquence de fin auprès des crocodiles…

Dans Libre et assoupi, les acteurs paraissent s’émouvoir dans des sketchs distincts et sans rapport les uns avec les autres. Enfin s’émouvoir est un bien grand mot. Sorte de Tanguy bâclé sans les parents, ou d’Auberge espagnole ronronnante sous Valium, Lecaplain n’a pas l’air de comprendre dans quoi il s’est fourré lui-même. À la limite, on croirait regarder une série B d’AB productions du temps jadis. Ce qui est intéressant sociologiquement parlant, c’est que Lecaplain fait mine de se moquer du nom de la commune Rueil Malmaison, dans laquelle il doit postuler, alors même qu’il a l’air de sortir d’une famille bobo du 16ème arrondissement. C’est là qu’apparaît Denis Podalydès jouant Richard, français moyen, assistant social à l’agence nationale pour l’emploi… doit-on penser qu’il s’agit d’une blague du réalisateur ?? Peut-être pas car c’est là la seule touche irrévérencieuse du long métrage, surtout lorsqu’il  énonce à Lecaplain que peut-être le problème c’est que sa vie ne l’amuse plus. Lecaplain répond : Y avait pas une femme à poil dans votre histoire ?… car oui la crise de la virilité passe aussi par l’immaturité dans les deux métrages. Quelques rôles sont très intéressants (Jean Michel Lahmi dans Libre et Assoupi, Camille Rowe dans Rock’n’roll…)

Point commun des films

Les deux films ont le point commun de surjouer et de s’enfoncer dans un style outrageusement pathétique. Je félicite tout de même Canet pour sa performance compliquée que je qualifierai de crise égocentrée extériorisée partagée avec sa compagne Marion Cotillard. Le film peut sembler parfois jubilatoire, malgré le côté ronflant et pantouflard dès les premières minutes. Quant à la fin de Libre et assoupi, cette fois on dirait une publicité pour une assurance. Si je devais n’en conseiller qu’un je dirais, regardez Rock’n’roll

Alors que dans Libre et assoupi Denis Podalydès débite une liste à la Prévert sur sa vie banale et chiante, sorte de parodie humiliante de ce que vivent plus de 40 000 000 de Français et de Françaises tous les jours, je finis par me demander : le cinéma est-il à ce point déconnecté de la réalité ? Dans le précédent article je me demandais si le cinéma frenchy était désolant… La question, je crois qu’elle est vite répondue. À vous les studios (qui a la réf ??)…

Signé Tassa


Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *