Critique du film In the Mood for Love de Wong Kar-wai (2000)

La beauté mélancolique d’In the Mood for Love m’a toujours subjuguée et pour moi, il s’agit d’un chef d’œuvre cher à mon coeur. Ce film est une exploration cinématographique des relations humaines et du contexte socioculturel à Hong Kong

In the Mood for Love (2000) a été réalisé par Wong Kar-wai. C’est un pur chef-d’œuvre cinématographique qui a marqué le paysage du cinéma asiatique hongkongais et chinois et qui reste l’un de mes films préférés. Il a été tourné pendant la rétrocession de Hong Kong à la Chine et présenté en compétition au Festival de Cannes en l’an 2000, c’est donc un vieux film de plus de 24 ans. Et le film capture avec élégance les nuances des relations humaines et des désirs refoulés, tout en reflétant les tensions socioculturelles de l’époque avec subtilité.

Point historique

La rétrocession de Hong Kong à la Chine en 1997 a marqué un tournant significatif dans l’histoire de la ville et a eu un impact profond sur son paysage cinématographique. La transition politique et socioculturelle a créé un climat d’incertitude et de changement, influençant la production cinématographique à Hong Kong. In the Mood for Love de Wong Kar-wai, réalisé pendant cette période, montre les nuances de cette transition, et les tensions et émotions qui ont émergé au sein de la société hongkongaise. Le film offre ainsi un aperçu poétique de l’époque de la rétrocession, tout en préservant l’identité et la complexité de Hong Kong en tant que lieu unique dans le paysage cinématographique asiatique. La mélancolie peut aussi être critiquée comme un conservatisme, mais le cinéaste en fait quelque chose de moderne.

I. Contexte de production et cinéma asiatique hongkongais et chinois :

In the Mood for Love s’inscrit dans une période charnière du cinéma asiatique, marquée par la transition du cinéma hongkongais vers l’influence grandissante de l’industrie cinématographique chinoise. Le film a été réalisé trois ans après la rétrocession de Hong Kong à la Chine, ce qui a profondément transformé l’environnement culturel et artistique de la région.

Wong Kar-wai, en tant que réalisateur audacieux et novateur, a su capter l’essence de cette époque de transition à travers une narration poétique mais minimaliste (très peu de décors et de personnages). In the Mood for Love explore les thèmes de l’identité culturelle, de la tradition et de la modernité. Ce n’est pas qu’une simple histoire d’amour, ce sont des corps qui s’acceptent et se refusent. C’est l’histoire d’une fusion et d’une rupture. Le cinéaste place son intrigue dans les années 60, période de bouleversements culturels et politiques qui fait écho à cette rétrocession dans l’esprit du réalisateur. 

Les années 60 ont été une période de profonds changements et de métamorphose à Hong Kong. Sur le plan politique, la ville était sous l’influence de la colonie britannique, ce qui a eu un impact considérable sur sa culture et son identité. Sur le plan économique, Hong Kong était en plein essor, devenant rapidement un centre financier et commercial prospère. Ces changements ont mené à ce qu’on appelle « l’âge d’or du cinéma hongkongais ».

De fait, l’on voit apparaître une production prolifique de films de différents genres. Les studios Shaw Brothers et Cathay Organisation étaient les principaux acteurs de l’industrie cinématographique de l’époque, produisant des films d’action, des comédies, des drames et des films d’arts martiaux qui ont captivé les spectateurs locaux et internationaux. Les acteurs et actrices emblématiques tels que Bruce Lee, Jackie Chan, et Maggie Cheung ont émergé pendant cette période et sont devenus des figures emblématiques du cinéma hongkongais (c’est-à-dire extrêmement bankable jusqu’aux États-Unis).

Ce même cinéma hongkongais des années 60 se caractérisait par une énergie créative et une diversité de styles. Les films d’arts martiaux ont dominé la scène, avec des réalisateurs tels que King Hu et Chang Cheh qui ont popularisé le genre wuxia, mettant en scène des combats spectaculaires et des héros emblématiques. Parallèlement, le cinéma urbain a également prospéré, explorant les dynamiques sociales et les tensions de la vie quotidienne à Hong Kong.

Cette période a aussi été marquée par des défis et des tensions, en particulier sur le plan politique. L’agitation sociale et les troubles sociaux ont contribué à façonner le contenu des films, qui reflétaient souvent les préoccupations et les aspirations du peuple hongkongais.

II. La carrière du réalisateur Wong Kar-wai :

Wong Kar-wai est l’un des réalisateurs les plus acclamés et influents du cinéma asiatique contemporain. Sa filmographie se distingue par son style visuel distinctif, des images lentes, des lumières un peu tamisées et romantiques, la nuit, la pluie, le sentiment de mélancolie, de tristesse, un cinéma lancinant et prenant, avec ses récits non linéaires et sa sensibilité émotionnelle unique. In the Mood for Love représente selon moi l’apogée de son talent artistique, captivant les spectateurs par sa beauté visuelle et son exploration profonde des émotions humaines. Comparé à ses autres films emblématiques tels que Chungking Express (1994) et 2046 (2004), In the Mood for Love est différent par son approche plus intimiste et son exploration plus subtile des relations humaines. Tout se déroule entre deux portes, entre deux couloirs, dans des escaliers, entre deux ruelles mal éclairées. Un minimalisme qui résonne aussi avec les dialogues dépouillés, les scènes d’une grande simplicité mais d’une grande intensité. 

III. La carrière des acteurs principaux :

Maggie Cheung et Tony Leung, deux acteurs iconiques du cinéma hongkongais, portent le film avec une belle intensité. Leur collaboration avec Wong Kar-wai est un élément clé de la réussite du film. Maggie Cheung incarne Mme Chan avec une grâce et une vulnérabilité extraordinaires, tandis que Tony Leung apporte une profondeur émotionnelle à son personnage de M. Chow. Leur présence à l’écran est magnétique, et crée une tension palpable entre les personnages principaux. Surtout dans les non-dits. Ce sont les corps, les yeux, les peaux, les silhouettes et la lenteur de gestes, qui parlent. Leur carrière remarquable dans le cinéma asiatique, en particulier leur travail avec Wong Kar-wai, contribue à l’impact émotionnel et à la crédibilité des performances dans ce long métrage d’humeur plus que d’action. 

IV. La musique :

La musique, composée par Michael Galasso et Shigeru Umebayashi, joue un rôle essentiel dans la création de l’atmosphère envoûtante du film. Les mélodies mélancoliques du violon et les rythmes répétitifs des percussions renforcent le sentiment d’isolement et de désir qui imprègne les personnages principaux. La musique devient un langage émotionnel à part entière, s’exprimant là où les mots échouent. Elle est l’une de mes bandes sonores préférées. Je ne m’en lasserai jamais. Le film en devient presque un ballet.

Entre cultures musicales asiatiques et culture européenne du jazz ou de sud américaine de la bossa nova, on dirait en fait une musique de danse nuptiale, un tango lent et beau, entre des corps qui s’aiment et se détestent. En comparaison avec d’autres films de Wong Kar-wai tels que Fallen Angels (1995) et Happy Together (1997), la musique de In the Mood for Love se distingue par sa subtilité et sa capacité à créer une symbiose parfaite avec les images à l’écran. Sans la musique, le film ne serait que la moitié de lui-même. 

V. Le style cinématographique :

Wong Kar-wai est réputé pour son style visuel assez unique, une empreinte forte, caractérisée par des cadrages serrés, puis large, des plans séquences longs et silencieux, des corps suivis dans des rues, des mouvements de caméra fluides et une utilisation judicieuse des couleurs de la chaleur à la froideur et des motifs récurrents. Dans ce film, les mots sont peu nombreux, mais les bruits sont essentiels et j’ai comme l’impression à chaque fois de sentir les odeurs de la cuisine, d’être là dans le bureau pendant que l’horloge tourne avec son tic tac incessant, de sentir la chaleur moite, et la pluie tomber à mes pieds. 

In the Mood for Love ne fait pas exception, avec ses cadrages resserrés qui intensifient l’intimité entre les personnages et suggèrent la présence de barrières émotionnelles, celles de la pudeur. En comparaison avec d’autres films de Wong Kar-wai, tels que Days of Being Wild (1990) et Ashes of Time (1994), In the Mood for Love a une esthétique visuelle plus épurée et une mise en scène plus minutieuse et recherché, avec un travail de direction d’acteurs plus important encore qu’à son habitude pour qu’on ne puisse pas décrypter complètement les émotions de chacun. 

VI. La manipulation des images fixes et la lumière étrange dans la nuit :

L’une des techniques les plus remarquables de Wong Kar-wai dans In the Mood for Love est l’utilisation d’images fixes et de la lumière pour filmer la nostalgie et l’attente. Les scènes nocturnes sont baignées d’une lumière chaude et tamisée, créant une atmosphère intemporelle et envoûtante. Les images fixes permettent au spectateur de s’immerger dans les pensées les plus intimes des personnages, mais capturent aussi l’impossibilité de communiquer entre les personnages. Tout est trouble et disloqué pour composer un tableau sombre mais doux. créant ainsi une expérience cinématographique immersive et émotionnelle. Cette technique est également présente dans d’autres films de Wong Kar-wai, tels que Fallen Angels où les mots n’ont pas d’importance et 2046, film du souvenir, renforçant l’exploration des émotions profondes des personnages, pourtant imperturbables dans la manière dont ils sont ébranlés. 

In the Mood for Love est une œuvre cinématographique très émouvante qui transcende les frontières culturelles et linguistiques.

Signé Tassa


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