La mode du documentaire criminel sur les tueurs en série

Avertissement : ⚠️ cet article contient des propos sur les violences, les massacres et les v*ols décrits dans les documentaires criminels. 

Je me suis penché sur le genre du documentaire « faits divers » ou « crime ». Je n’en suis pas sorti indemne. Petite critique à chaud :

Malaise évident

Il existe tout un tas de documentaires sur internet et particulièrement en ligne sur les grandes plateformes mainstream qui pullulent sur les tueurs en série. Le malaise que je ressens face à la prolifération des documentaires sur les tueurs en série est assez grand. Après en avoir vu plusieurs, j’ai trouvé que l’angle est toujours le même, qu’il témoigne d’une préoccupation légitime quant à la fascination de notre société pour le côté sombre de l’humanité. C’est aussi une preuve supplémentaire de l’hégémonie patriarcale. Alors que ces documentaires peuvent offrir un regard approfondi sur la psyché criminelle, ils soulèvent également des questions éthiques et morales. Peut-on réellement remplacer le dégoût par de la fascination ? 

Et au contraire d’une série qui assume parfaitement son aspect fictif permettant aux spectateurs et spectatrices de se détacher du réel, le documentaire emprunte une autre voie qui mène ceux et celles qui regardent à penser le « mal » d’une même et unique façon. 

Un attrait qui n’est pas neuf 

Le documentaire criminel n’est pas tout jeune. Il en existe depuis le feuilleton papier ou dans le journal au XIXe siècle. L’image et la télévision ont rendu les récits plus palpitants encore. À la radio déjà les faits divers étaient racontés et le podcast a opéré également une renaissance du genre. Mode venue des États-Unis qui glorifient le processus policier et juridique au point d’avoir des émissions où des magistrats rendent la justice en public, le documentaire carcéral ou criminel a vu éclore des séries sur des crimes de « faits divers », souvent des homicides familiaux ou des féminicides. 

Sur l’INA, on remarque quelques reportages de faits d’hiver structurés d’une manière assez classique sans trop de sensationnel, depuis les années 60 jusqu’aux années 80. À côté de cela, les productions américains favorisent une scénaristique particulière pour mettre en avant une histoire à la manière d’un film. Dans un reportage de 1991, sur la Cinq, le journaliste s’exprime assez objectivement. En 1994, sur France 2, le journaliste parle d’un des plus célèbres tueurs en série (J. Dahmer) comme un « malade » qui a mérité la fin violente qu’il a connue. Aujourd’hui, dans les 2 documentaires récents et la série Netflix qui lui sont consacrés, le discours est tout autre. Nous sommes passés dans l’ère de la glorification du mal et du mâle. 

Une glorification du mâle dominant ?

L’attrait pour les histoires de tueurs en série peut être attribué à une fascination morbide pour l’inexpliqué et l’effroyable. Cependant, il est crucial de se demander dans quelle mesure cette fascination peut contribuer à la glorification de la violence et à la négligence des souffrances des victimes. Les images partent souvent du « choc » de l’effroyable violence qui vient perturber une situation tout à fait banal, les tueurs étant souvent des personnes incroyablement « normales ». L’on ne sort jamais du cliché qui parcourt également les séries tv américaines les plus connues : la banalité d’une banlieue américaine, qu’elle soit riche, pauvre, blanche ou noire. Car la particularité des documentaires criminels, c’est qu’ils ne soulèvent que rarement la question de race et de genre. La violence est souvent tournée en « puissance monstrueuse, sauvage et animale », un vocabulaire qui tranche avec la réalité psychologique des massacres décrits ensuite ou des v*ols, décrits comme des actes inconséquents ou bien décrits comme le seul moyen qu’avait le tueur pour passer une émotion (colère, pulsion, insociabilité, etc.)

Ces documentaires ont souvent tendance à mettre en lumière la personnalité complexe et troublée des criminels, ce qui peut susciter une empathie malvenue envers eux. Cela soulève la question délicate de l’équilibre entre comprendre les motivations criminelles et donner une plateforme à ceux qui ont commis des actes horribles. Partant du principe que chaque tueur était à l’origine quelqu’un d’extrêmement « normal » ou discret voire « le voisin idéal », les spectateur-ices sont pris en otage : la réalisation est faite pour que vous croyiez que tout cela est un processus exceptionnel et inexplicable. Or, cela est faux bien entendu. 

Bien souvent, un journaliste, un enquêteur ou un psychologue sont chargés de vous faire croire qu’une recherche a été faite sur les raisons qui ont poussé la personne à commettre le crime, si le meurtre a été spécifiquement violent et inattendu. Toutefois, à chaque fois l’enquête piétine sur ce point. Les documentaires finissent incessamment par conclure que le meurtrier avait ses raisons ou bien qu’il n’en avait pas ou bien qu’il est mort avec son secret. Le mystère reste entier, surtout lorsque le meurtre est mêlé d’éléments à caractère sexuel. Et cela pose un problème d’éthique, de ne pas avertir qu’il n’est pas exceptionnel de tomber sur des personnes comme cela dans notre monde aujourd’hui. 

Les documentaires sur les tueurs en série génèrent une ambivalence intrinsèque en suscitant une fascination pour le mal. D’un côté, ces récits offrent un aperçu profond des mécanismes psychologiques et des motifs criminels, éveillant une curiosité naturelle pour la compréhension humaine. Néanmoins, cette quête de connaissance peut glisser insidieusement vers une admiration fétichiste morbide, où l’obsession pour les détails sordides des crimes devient un terrain propice à une fascination dérangeante pour le mal lui-même. L’ambivalence réside dans la frontière fine entre l’intérêt académique et une attraction malsaine, soulevant des questions sur la responsabilité éthique des producteurs de ces documentaires et sur la manière dont ils équilibrent l’exploration psychologique avec le risque de glorification du mal. Ainsi, cette dualité complexe souligne le besoin d’une approche réfléchie dans la création de contenus qui traitent de sujets aussi délicats, afin d’éviter de nourrir une fascination indue pour les aspects sombres de l’existence humaine.

Le malaise peut également découler du risque de normaliser ou de banaliser la violence. En se concentrant excessivement sur les détails sensationnels des crimes, ces documentaires risquent de perdre de vue l’importance de traiter les sujets délicats de manière responsable et respectueuse. Certains documentaires n’hésitent pas à montrer les images choquantes des scènes de crime ou les photos des archives policières. 

Une éthique de la banalisation 

La morale de chaque documentaire est décevante. On pourrait émettre cette hypothèse : cela pourrait arriver à n’importe qui d’entre nous, votre voisin, votre ami, votre père, votre mari. Et c’est bien là le souci majeur de cette éthique documentaire à deux balles. Si cela pouvait vous arriver, vous vous sentiriez sans cesse en insécurité. Cette position sensationnaliste est celle empruntée par les chaînes ou productions conservatrices. Dans le cas de certains tueurs en série, je n’en citerai pas ici, les victimes étaient des femmes, des prostituées, des hommes homosexuels noirs ou asiatiques, des jeunes enfants. Croyez-vous que cela soit donc une situation qui n’oppose pas un mâle en situation de domination patriarcale versus des victimes qui sont systématiquement des minorités ou bien des femmes et des enfants qui subissent cette violence quotidienne ? Or, aucun documentaire n’en fait mention ou ne le souligne. 

La question soulevée met en lumière une lacune notable dans les documentaires sur les tueurs en série, en négligeant souvent de contextualiser ces actes de violence dans le cadre plus large de la domination patriarcale ou de la violence domestique. Il semble y avoir une réticence à explorer la dynamique de pouvoir sous-jacente qui favorise ces comportements criminels, souvent perpétrés par des hommes, envers des victimes qui sont fréquemment des femmes, des enfants, ou des membres de minorités. L’omission de cette perspective critique dans les documentaires contribue à maintenir un certain aveuglement sur les causes structurelles de cette violence, perpétuant ainsi les schémas d’oppression. Il est essentiel que les créateurs de contenus reconnaissent cette dimension sociale et patriarcale pour offrir une représentation plus complète et éclairante des tueurs en série, contribuant ainsi à une prise de conscience plus profonde de la nécessité de s’attaquer aux racines du problème. Lorsqu’il y a des femmes impliquées dans les crimes, il s’agit bien souvent de documentaires sur un couple homme/femme ayant perpétré l’acte meurtrier ou bien des documentaires sur des femmes qui ont commis un infanticide, caractérisé aujourd’hui dans nos sociétés comme l’un des pires crimes de l’humanité (à savoir que ces documentaires ne donnent jamais la parole à la problématique féministe). 

Et pour conclure, le malaise face à la prolifération des documentaires sur les tueurs en série souligne la nécessité d’une réflexion critique sur la manière dont nous consommons ces récits. Il est impératif de maintenir un équilibre entre la compréhension des aspects criminels de l’humanité et le respect dû aux victimes, évitant ainsi de glorifier l’horreur au détriment de l’éthique et de la responsabilité sociale.


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