Le Crime de l’Orient Express (2017) : le détective à moustaches a encore frappé fort [cinéma]

Avant de faire une critique cinéma en bonne et due forme ici, j’ai décidé de voir les deux remakes des grands romans d’Agatha Christie par Kenneth Branagh en 2017. J’ai donc revu Le Crime de l’Orient-Express une deuxième fois avant de regarder Mort sur le Nil (2022) [chronique ici]. Voici ce que j’en pense :

Ignorez la face de Depp stp

Résumé : Le luxe et le calme d’un voyage en Orient Express est soudainement bouleversé par un meurtre. Les 13 passagers sont tous suspects et le fameux détective Hercule Poirot se lance dans une course contre la montre pour identifier l’assassin, avant qu’il ne frappe à nouveau. D’après le célèbre roman d’Agatha Christie. (Source: Allociné)

Il s’agit là d’une enquête sur mesure faite pour le cinéma. Paradoxalement, c’est un des plus grands huis clos de la littérature policière. D’un autre côté, le souffle de mystère qui passe sur cette enquête en fait un objet cinématographique intéressant. D’abord pour son décor : le fameux train de l’Orient-Express, ensuite pour les personnages, souvent mis en valeur par les choix des castings, tant dans la série TV que dans les divers remakes sur grand écran.

Le roman publié en 1934 est l’un des plus vendus et lus au monde. Objet de convoitise, il a déjà été investi par Sidney Lumet en 1974. Cette fois, la nouvelle adaptation est mise entre les mains d’un grand adepte du classicisme. Kenneth Branagh a déjà réalisé quelques mastodontes considérés comme difficilement adaptables à la télévision ou au cinéma, dont des pièces de Shakespeare, que je vous conseille, Henri V (1989), Beaucoup de bruit pour rien (1993), Hamlet (1996), etc.

Qu’est-ce que le réalisateur anglais apporte à ce nouvel opus ? Il nous démontre encore une fois que la figure d’Hercule Poirot est inscrite au Panthéon des œuvres littéraires et que le célèbre détective belge est pour longtemps encore une icône de la pop culture (culture populaire pour faire plus propre). Kenneth Branagh fait une adaptation des plus classiques, produite par Ridley Scott, entre autres. On note que dès le départ, si le casting est un avantage indubitable pour vendre le film, il est aussi un poids qui contraint le long métrage dans les premières minutes. En effet, le cinéaste se pose longuement sur les visages et les attitudes de chacun et de chacune comme s’il fallait, par contrat, les identifier tous et toutes plus de deux minutes chacun avant que l’intrigue ne se déroule véritablement. Les premières scènes sont donc un peu fastidieuses, puis comme dans d’autres adaptations, le scénario démarre et les péripéties s’enchaînent.

L’avantage du film, c’est que Kenneth Branagh ne s’appuie pas uniquement sur son casting. Il maîtrise aussi le cadre et l’image. L’originalité de cette redite passe donc par des points de vue intéressants: la caméra filme en contre-plongée mais surtout en vue plongeante, à la fois pour cadrer ce qui semble impossible à cadrer vu l’étroitesse des cabines du wagon de l’Orient-Express, et également pour signifier à quel point Hercule Poirot est écrasé par le poids de cette enquête, pris dans une sorte de souricière, un piège dont il doit démêler les intrications seul.

On pourra reprocher au film de trop serrer les visages larmoyants, de pousser le côté dramatique (voire tragique) un peu trop loin, surtout Pénélope Cruz, Lucy Boynton, peu mises en valeur. On peut aussi dire que les personnages sont trop caricaturaux, particulièrement Johnny Depp au départ, et bien d’autres ensuite. Quelques bonnes révélations telles que Josh Gad, impeccable, et Michelle Pfeiffer toujours aussi épatante et éclatante ! Cependant, le casting finit par s’harmoniser avec l’histoire petit à petit et chacun trouvera sa place à son rythme, même si malheureusement, d’autres restent en retrait malgré leur stature de stars du cinéma, Willem Dafoe par exemple… 

Le problème de Kenneth Branagh, c’est qu’il est connu pour sa tendance à transformer des personnages connus en héros de tragédie. Quelques scènes illustrent bien son obsession pour le combat sacrificiel du héros moderne, position christique peu originale qui pourtant donne un ton particulier à son adaptation. Je pense spécifiquement à la scène finale de la révélation du ou des coupables, qui rappelle La Cène, le dernier repas de Jésus pris avec les apôtres. Ce grossier clin d’œil n’est pas le seul trait trop épais que Branagh distille au fur et à mesure, car les scènes de monologues d’Hercule Poirot ressemblent trop à des sentences moralisatrices, s’écartant des codes du polar/thriller habituel. A force de vouloir améliorer le « background » de l’enquêteur (avec son amour pour Katherine) qui n’en obtient pas tant dans les livres, Branagh ne réussit pas à nous le rendre plus sympathique, plutôt plus distant et quelques fois glacial… ce qui va bien avec l’atmosphère générale du film de toute façon.

La musique de Patrick Doyle est prenante et la direction artistique, les décors, les costumes et la photographie sont les grandes forces majeures de ce film qui magnifie les acteurs et actrices par la lumière, froide, bleutée, en clair obscur, si bien amenée par Kenneth Branagh et son équipe. Pour le reste, le film prend quelques libertés pour satisfaire les attentes du grand public qui s’attend à voir ces têtes d’affiche dans un film d’action et d’aventure plutôt que dans un huis clos. Le besoin d’exotisme et de sex appeal est favorisé, et se fait trop tape à l’œil. En effet, les producteurs choisissent de changer un personnage pour le remplacer par Pénélope Cruz, deux personnage ont fusionné en un seul (le docteur Arbuthnot), la caméra s’invite à l’extérieur, avec une scène de course poursuite et une avalanche, et enfin, la violence y est esthétisée exagérément même si cette dernière reste suggérée plutôt que montrée à l’écran.

Les puristes peuvent ainsi crier au scandale. Pour autant, je n’ai pas boudé mon bonheur de redécouvrir ce petit joyau du thriller britannique. La composition globale offre un point de vue singulier de la part de Branagh qui rend l’expérience bien plus métaphysique qu’originellement : Hercule Poirot se retrouve pris dans un dilemme étrangement plus complexe que dans ses deux dernières enquêtes. Il ne sait plus où est le Bien ni le Mal. Ce questionnement, bizarrement plus américain qu’anglais, devient le centre de gravité du long métrage. Plus question de savoir s’il est bien de tuer ou de ne pas tuer, puisque la focale se concentre sur les flashbacks en noir et blanc de cette enquête qui semble relier toutes les personnes présentes dans la même voiture de l’Orient-Express. Là où le livre prenait son temps et s’attardait sur chaque personnage, éliminant une à une les hypothèses et les suppositions du détective et des lecteurs comme des dominos, le film se penche plutôt sur Poirot ce qui amoindrit le suspense.

A l’ère où le cinéma offre de plus en plus de surenchère d’actions et d’effets spéciaux, Le Crime de l’Orient-Express ne fait pas exception aux habitudes hollywoodiennes. Le clinquant de ce train-couchettes contraste avec la noirceur des âmes qui sont montées dans le véhicule. L’extravagance du détective Poirot s’oppose à la retenue et au flegme de chaque personnage. Ce huis clos aurait pu se montrer plus étouffant, plus noir encore. Kenneth Branagh en a fait un objet curieusement romantique et idéalisé du cinéma. 

Signé Tassa 


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