Mort sur le Nil, échec ou réussite du modèle Agatha Christie ? (2022) [cinéma]

C’est avec une certaine pointe d’amertume et de déception que je chronique la suite de mon visionnage des adaptations d’Agatha Christie ici [ma dernière chronique]. Dans cet énième opus, redite de Mort sur le Nil, l’un des romans les plus lus de la reine du polar, réalisé par Kenneth Branagh, ce dernier en est à son deuxième essai. Essai qu’il était parvenu à transformer dans Le Meurtre de l’Orient Express en 2017. Est-ce le cas pour Mort sur le Nil ??

Résumé : Au cours d’une luxueuse croisière sur le Nil, ce qui devait être une lune de miel idyllique se conclut par la mort brutale de la jeune mariée. Ce crime sonne la fin des vacances pour le détective Hercule Poirot. A bord en tant que passager, il se voit confier l’enquête par le capitaine du bateau. Et dans cette sombre affaire d’amour obsessionnel aux conséquences meurtrières, ce ne sont pas les suspects qui manquent ! S’ensuivent une série de rebondissements et de retournements de situation qui, sur fond de paysages grandioses, vont peu à peu déstabiliser les certitudes de chacun jusqu’à l’incroyable dénouement ! (Source : Sens Critique)

Là où le casting était un désavantage dès le départ dans le premier film, ici j’ai regardé le film uniquement pour son casting, brillant et moderne. Gal Gadot y côtoie Emma Mackey, deux actrices sublimes. On croise de nouveau la route de Tom Bateman ainsi que quelques bonnes retrouvailles telles que Letitia Wright, Sophie Okonedo et Annette Bening. Après le désastre des frasques d’Armie Hammer, entre drogue, violence et jeux sexuels douteux, la production a préféré oublier son visage dans la bande annonce officielle. Néanmoins, à ce stade il était impossible de refaire le film, ce dernier interprétant le mari de la femme richissime nouvellement épousée.

Cela étant dit, le film se déroule sans accrocs sur ce point. La direction d’acteurs et d’actrices est en effet excellente et tout le monde semble y donner du sien dans une adaptation qui manque du charme de celle d’avant. Point de souffle Agatha Christien comme dans l’adaptation avec Peter Ustinov en 1978, au casting cinq étoiles (David Niven, Maggie Smith, Jane Birkin, Mia Farrow…). Non pas une once de british attitude. Le film est pourtant tourné par Kenneth Branagh mais il eut pu être réalisé par un cinéaste américain qu’on y aurait vu que du feu.

Mort sur le Nil de 2022 est un peu raté pour plusieurs raisons : 

– les premières scènes sont complètement inutiles. Elles montrent le passé de Hercule Poirot à la guerre et son amour pour une certaine Katherine. Ces scènes sont censées épaissir le portrait du détective et expliquer l’apparition de sa moustache mythique. Le Belge ne possède que peu d’histoire en arrière-plan, ne serait-ce que ce qu’Agatha Christie a bien voulu laisser dire à ses personnages de temps en temps.

– la scène d’ouverture n’a donc rien à voir avec les choix scénaristiques du film de 1978 (l’arrivée dans la campagne anglaise, etc.). Kenneth Branagh fait en effet le pari de ne pas trop révéler de la « vie d’avant » des personnages en s’intéressant à la jalousie entre les acteurs et les actrices principaux.

– la mise en scène est clinquante et rendue sexy (la scène des ballons dans le bateau est étrange, la danse au début du film est gênante…). Il y a bien moins de traits d’humour que dans le film de 1978. Branagh reprend de grandes libertés par rapport à l’intrigue originale pour moderniser le tout. Quelques minutes du film sont extrêmement mal mises en scène (je pense par exemple à la scène où Poirot accuse le cousin Andrew, la caméra se met à tourner pendant que les personnages tournent autour du dit cousin… et les scènes de la fin sont quasiment toutes ratées…)

– C’est vrai aussi qu’on est un peu gêné de voir un film se passer sur le Nil en Égypte au moment où les enjeux de la colonisation britannique sont importants… et où les affaires financières sont inscrites dans la grande marche de l’histoire (la guerre, la colonisation et le Krach boursier), aucun mot là-dessus malheureusement. Le choix d’un cousin Andrew indien au lieu d’un oncle Andrew, vieux, blanc et bedonnant est étrange et peu justifié dans le film, on aurait aimé une sous intrigue plus réfléchie. Comme d’habitude, Branagh délaisse un peu ces personnages secondaires pour se concentrer sur le point de vue de Poirot, alors qu’Agatha Christie réussissait à faire une peinture presque sociale et de classe de sa gentry et aristocratie so british

– Comme dans sa première adaptation, Kenneth Branagh veut agrandir l’image du film censé être un huis clos, cette fois plus dans un train, mais dans un bateau. Il élargit les angles des personnages et continue d’apporter sa touche christique et biblique (moralisatrice) au roman d’Agatha Christie. Ainsi, on note que l’une des scènes où il retrouve et parle à son ami Bouc sur le bateau est filmée derrière le dossier de grandes chaises en osier à la manière d’un confessionnal. Tout est dans l’expressionnisme littéral et de plus les métaphores sont trop lourdes chez Branagh. Le Nil est personnifié pour devenir un character à son tour, puisqu’on voit de temps à autres un animal prédateur bouffer des proies (un crocodile, un poisson/anguille?… etc.) Sauf que les créatures en CGI (effets spéciaux) passent mal à l’écran en 2022.

– Tout l’exotisme (et sa problématique) du film est tourné sans interprétation. On y trouve des plans serrés des pyramides et du temple d’Abu Simbel puis des plans très larges sur un décor à moitié créé par effets spéciaux. Ce qui donne un ton très kitsch à ce film déjà dépassé.

– La résolution de l’enquête est malencontreusement trop facile. C’est l’un des désavantages du film. Dans le livre, on perçoit bien plus la haine et la jalousie que ressentent TOUS les personnages contre la riche héritière jouée ici par Gal Gadot. Or, dans ce film, il n’en est rien, Gal Gadot semble appréciée mais pas haïe. Branagh n’aura pas voulu en rajouter après la haine envers sa victime précédente (Johnny Depp dans Le Crime de l’Orient Express). La scène finale est ridicule (la position des acteurs…), même si on sent un hommage de la part de Branagh qui retente ici d’y voir une fin tragique à la Shakespeare. Ce dénouement n’aura pas beaucoup servi à nous rendre les couples formés sur le navire plus sympathiques ou plus suspects… On ne sait pas trop si certaines scènes on été coupées ou non, pourtant, vu la tournure de séduction intense que prend le film au début, on se dit qu’il manque cette même touche de séduction dans le reste du film.

Bon, néanmoins, je dois avouer que j’aime bien Branagh en Hercule Poirot, et que la musique et les décors dans le bateau sont soignés et appréciables, nous offrant là une immersion à couper le souffle. Malgré tout, les ficelles de Mort sur le Nil sont bien trop aisées à voir, et c’est dommage que Branagh n’ait pas joué de cette ambiguïté ou de cette apparente facilité à dénouer les fils de l’enquête.

Signé Tassa


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