202408_cinéma Le film carte postale – L’esthétique au cinéma – Partie 2

Mon titre est trop long et en même temps, comme dirait le Président, je m’en fiche. Alors voilà, nous avons parlé de différentes esthétiques au cinéma. Parlons maintenant un peu plus du style carte postale. Et pour commencer à en parler, remettons nous dans l’humeur. Lisez la première partie de cet article :

Films mentionnés :

Le fabuleux destin d’Amélie Poulain de J.P. Jeunet, 2001

À bord du Darjeeling Limited, de Wes Anderson, en 2008

2001, l’Odyssée de l’espace (1968) de Stanley Kubrick

Play Time (1967) de Jacques Tati

Star Wars de George Lucas (1977)

Dune première et deuxième parties, de Denis Villeneuve (2021-2024)

Gladiator, de Ridley Scott (2000)

Orgueil et préjugés de Joe Wright en 2005

Bright Star de Jane Campion (2010)

Atonement (Reviens-moi) de Joe Wright (2008)


Cartes postales touristiques 

Le cinéma est devenu une carte postale par la force des choses. On dit de cet art qu’il est un soft power puissant pour lisser l’image d’un pays ou défaire les imaginaires des autres. La Nouvelle Vague française avait déjà noyé les pellicules des films américains et du monde entier, ce n’était pas suffisant. Car il a fallu que Jean Pierre Jeunet ait inventé Amélie Poulain pour en faire l’archétype du cinéma carte postale. On ne peut faire plus cliché que ce long métrage centré sur Paris et sur le visage enfantin d’Audrey Tautou. Les couleurs sont saturées et jaunes. Des touches de verts et de rouges viennent ponctuer l’image : le rouge pour l’histoire romantique que vit Amélie, le vert pour l’aspect mystérieux et l’espoir qui la guide tout au long de son aventure. La caméra s’arrête toujours sur des moments du quotidien, des regards. C’est un avant-goût de ce que va devenir Instagram quelques années plus tard. Le réalisateur et son directeur de la photographie l’ont ils anticipé ? S’en rendent-ils compte aujourd’hui ?

Les couleurs attribuent aussi un côté fantastique et inattendu dans le film. La carte postale est ainsi moins figée avec les nains de jardin et dans les décors parisiens. Bruno Delbonnel, dirigeant la photographie, abonné aux styles saturés et fantasques, fera aussi partie de l’équipe du film Harry Potter et le Prince de Sang mêlé (réal. David Yates, 2009) ainsi que de Dark Shadows par Tim Burton.

Le fabuleux destin d’Amélie Poulain de J.P. Jeunet, image de Pinterest, 2001

Comme nous l’avons vu dans l’article précédent, Wes Anderson a aussi donné dans la carte postale. En particulier dans le film À bord du Darjeeling Limited, en 2008, long métrage qui traverse de nombreux pays et paysages. Le film, audacieux, raconte l’histoire banale de trois frères que la vie a éloignés les uns des autres et que tout sépare.

Le voyage en train devient le prétexte d’un voyage initiatique version carte postale. Le traitement de l’image est chargé en détails. Les décors sont travaillés au point que le cadre est saturé de couleurs, de motifs et d’objets. L’acteur semble faire partie de ce joyeux bordel.

Film : À bord du Darjeeling Limited, de Wes Anderson, en 2008.
Film : À bord du Darjeeling Limited, de Wes Anderson, en 2008.

Cartes postales futuristes 

Au même titre que les films cartes postales touristiques, les films à cartes postales futuristes ont su tirer leur « carte » du jeu. Vous me pardonnerez ce trop plein de cartes. Et vous reprendrez bien une petite dose de Kubrick avec moi. Dans 2001, l’Odyssée de l’espace (1968), le réalisateur Stanley Kubrick fabrique une image parfaite, symétrique, avant-gardiste, on dirait presque expressionniste, au point que Kubrick fait de l’art du cinéma une peinture.

Chaque scène de Kubrick en appelle une autre. Ainsi l’os qu’on voit jeté dans les airs par le primate se télescope en vaisseau spatial dans l’infini de l’univers. Les couloirs déserts en tube ou en losange rappellent les capsules dans lesquelles dorment les membres de l’équipage ou les casques que ces mêmes membres revêtent tout au long du film, symbolisant un double enfermement.

Film : 2001, l’Odyssée de l’espace (1968) de Stanley Kubrick
Film : 2001, l’Odyssée de l’espace (1968) de Stanley Kubrick

En matière de science fiction, ce film est le parangon du genre. On y retrouve les éléments du minimalisme et du réalisme à la mode chez les designers américains, japonais ou allemands de l’époque. Kubrick opte pour un style épuré. Les intérieurs des vaisseaux spatiaux sont conçus avec des lignes propres, des surfaces blanches et des éclairages subtils. Cela donne un sentiment de réalité et de fonctionnalité, évitant les clichés de l’époque sur les décors futuristes. Le film est célèbre pour sa précision scientifique. Les mouvements des vaisseaux, l’absence de sons dans le vide spatial, et la représentation de la gravité artificielle sont soigneusement étudiés. Cette approche réaliste renforce notre immersion en tant que spectateur-ices. 

Le cinéaste utilise la lumière de manière expressive. Les couleurs jouent un rôle clé, comme les éclats rouges de l’œil de HAL 9000 ou les séquences psychédéliques de la « porte des étoiles ». Ces choix visuels créent une atmosphère unique, contemplative. 

Et puis, l’esthétique visuelle de ce film est aussi riche en symbolisme. La mystérieuse monolithe noire est un exemple clé, représentant une technologie ou une intelligence supérieure sans explication directe, incitant le spectateur à l’interprétation.

Film : 2001, l’Odyssée de l’espace (1968) de Stanley Kubrick
Film : 2001, l’Odyssée de l’espace (1968) de Stanley Kubrick

Dans la même veine de la carte postale du future, Jacques Tati filme son futur du présent. Ou le présent du futur. Enfin bref, il formalise une critique visuelle de la société dans laquelle il vit à travers des gags, mais aussi une mise en scène par le décor, héritée des comédies musicales américaines. Dans Play Time, pas question de vaisseaux spatiaux mais d’avion. Le réalisateur tourne au sujet du tourisme et de l’aéroport d’Orly, chef d’œuvre technologique de son temps. 

Le synopsis du film : « Des touristes américaines ont opté pour une formule de voyage grâce à laquelle elles visitent une capitale par jour mais arrivées à Orly, elles se rendent compte que l’aéroport est identique à tous ceux qu’elles ont déjà fréquentés. En se rendant à Paris, elles constatent également que le décor est le même que celui des autres capitales. » Ce film dénonce l’uniformisation, les déplacements de masse, le productivisme, tout ce qui fait que la société est devenue étrange et lisse aux yeux de Jacques Tati. 

La critique des Trente Glorieuses, de la société d’abondance et de la consommation est vive mais colorée, tant et si bien que cela fait très « carte postale » puisque ce sont autant de photographies instantanées de la vie quotidienne des années 60-70.

Le côté aseptisé passe par les matières abordées par le film dans les décors : le métal des ascenseurs, des couloirs, des Escalators, des véhicules, le plastique, les machines, le côté « maquette » ou « jouets d’enfants ».

Film : Play Time (1967) de Jacques Tati
Film : Play Time (1967) de Jacques Tati
Film : Play Time (1967) de Jacques Tati

Un peu plus tôt en 1958 dans Mon Oncle, il filmait aussi la modernité dans sa plastique si particulière des années 50-60 : le confort des maisons, l’électroménager à l’américaine et le taylorism de la bureaucratie. Dans ce film la maison est un robot, elle surveille, contrôle l’éclairage, l’allumage, l’arrosage, et deux yeux lui donnent une apparence humaine personnifiée. Carte postale : quotidien et art contemporain.

Film : Mon oncle de Jacques Tati (1958)

Plus tard, Dune de Denis Villeneuve en 2021, reprend l’esthétique de George Lucas dans Star Wars (1977) et de Kubrick dans son odyssée de l’espace. Chaque scène est une carte postale, un tableau plus proche de l’épique que du minimalisme de Kubrick.

Images de la saga Star Wars de George Lucas (1977)
Images de la saga Star Wars de George Lucas (1977)

Si les deux premiers volets sont ainsi c’est pour plusieurs raisons : l’aventure est épique, les décors le sont tout simplement aussi, et pour représenter le désert 🏜️ celui-ci doit être à la fois beau, grand et effrayant. Chaque scène est cadrée de manière à ce que nous ressentions ces différentes dimensions du désert, sans parler de la mystique propre au film. Et pour qu’il n’y ait pas besoin d’une narration ou d’explication supplémentaire sur le lore du film ou des romans, Denis Villeneuve rend une copie impeccable des décors. Chaque détail nous invite à comprendre dans quel univers nous nous trouvons. Les personnages sont posés tels des pions d’un jeu meurtrier sur un damier impénétrable que sont le désert et ses cités.

Dune deuxième partie, de Denis Villeneuve (2024)
Dune première partie, de Denis Villeneuve (2021)
Dune deuxième partie, de Denis Villeneuve (2024)

La carte postale historique 

Dune n’est pas sans rappeler les statues antiques et l’exotisme ancien des épopées grecques. Derrière ces images se cache la mode de la carte postale historique. Un modèle esthétique là aussi respecté à la lettre par de nombreux réalisateurs qui s’essaient au genre et font grand frais des scènes titanesques comme celles de Gladiator de Ridley Scott (2000). 

En gros, si ton film historique n’est pas commercialisable en cartes postales, c’est qu’il est raté. Imaginez prendre des cartes postales du film Troie par exemple …

Gladiator, de Ridley Scott (2000), images photographiées par John Mathieson (sur Pinterest)

Le péplum n’est pas le seul modèle de films qui se découpe en cartes postales. Le film de mœurs l’est devenu aussi. Chaque scène est en vérité un portrait, un tableau ou un paysage. Les femmes sont comme peintes dans leur élégance et dans la simplicité du quotidien, tel Orgueil et préjugés de Joe Wright en 2005. Ce style est naturaliste. Il est l’expression d’une peinture plutôt que d’un spectacle. L’image est souvent plutôt figée, immobile. Le temps semble n’avoir plus cours. Et pour ajouter au romantisme des scènes, les cartes postales chez Joe Wright sont toujours marquées par un cadre élargi pour ajouter à l’aspect champêtre et dépouillé.

Orgueil et préjugés de Joe Wright en 2005.
Orgueil et préjugés de Joe Wright en 2005.
Orgueil et préjugés de Joe Wright en 2005.

Jane Campion fait la même chose dans BrightStar (2010). En racontant l’histoire d’une liaison tragique entre un poète et sa muse, la réalisatrice fait un portrait total et peint une carte postale parfaite. Et c’est la même chose pour des films comme Atonement (Reviens-moi) de Joe Wright (2008).

Film: Bright Star de Jane Campion (2010)
Film: Bright Star de Jane Campion (2010)

Pour résumer, la carte postale du film historique mais aussi film de mœurs, c’est finalement la définition même du romantisme dans la peinture. Le romantisme en peinture est un mouvement artistique apparu à la fin du XVIIIe siècle et qui s’est développé au XIXe siècle. Ce mouvement se caractérise par une valorisation de l’émotion, de l’imagination et de la nature, souvent présentée de manière dramatique et sublime. Les peintres romantiques cherchent à exprimer des sentiments intenses, qu’il s’agisse de la passion, de la mélancolie, ou de l’émerveillement face à la nature.

Parmi les thèmes récurrents, on retrouve les paysages majestueux, sauvages et indomptés, les scènes historiques ou exotiques, et les sujets littéraires ou mythologiques. Les artistes romantiques mettent également l’accent sur la couleur et la lumière pour intensifier l’effet émotionnel de leurs œuvres.

Film : Atonement (Reviens-moi) de Joe Wright (2008).

Quelques artistes emblématiques du romantisme en peinture sont Eugène Delacroix, connu pour ses scènes historiques, J.M.W. Turner, célèbre pour ses paysages marins chaotiques et impressionnants, et Caspar David Friedrich, qui explore la solitude et la spiritualité dans ses paysages mystiques.

Au cinéma, le romantisme se traduit par des thèmes et des esthétiques qui privilégient l’émotion, la passion, et une certaine idéalisation. Comme en peinture, les films d’inspiration romantique mettent en avant des personnages en proie à des sentiments intenses et des quêtes personnelles bien plus profondes. Les films romantiques abordent des sujets comme l’amour impossible, la rébellion contre les conventions sociales, la quête de l’absolu, et la valorisation de la nature. Les histoires mettent en scène des héros solitaires ou incompris, des voyages initiatiques, et des conflits intérieurs intenses. C’est par conséquent très facile de trouver des modèles dans l’adaptation de la littérature d’avant le XXe siècle.

En matière d’esthétique visuelle, l’influence romantique se manifeste par des choix visuels évocateurs, avec une utilisation dramatique de la lumière et des ombres, des paysages naturels spectaculaires, qui ne nécessitent pas, à nos yeux de spectateurs, des décors complexes. Les films portent une attention particulière aux détails qui évoquent l’émotion et l’atmosphère, tels que la luminosité, les grandes étendues, les grands arbres, les étoffes, la peau, les regards, la musique.

La dramaturgie passe donc par le paysage, et la posture des personnages dans ce paysage, qui évoque leur quête personnelle. C’est ainsi que l’on voit les personnages errer dans de grands espaces, Jane Eyre, Elizabeth Bennet, ou même Maximus dans Gladiator

Orgueil et préjugés de Joe Wright en 2005.

J’espère que vous avez aimé ce voyage ! La suite prochainement. Comme d’habitude, l’article pourrait être prolongé à l’infini tant il y a matière à dire sur ces cartes postales cinématographiques.

Par Tal Amani


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