My Fair Lady: Un classique délicieusement problématique (POV féministe) [Critique de film]

Critique du film My Fair Lady (1964), vu à peu près 150 fois

Aujourd’hui, je souhaite partager avec vous ma réflexion sur un film que j’ai toujours adoré : My Fair Lady de George Cukor (1964). Ce classique du cinéma hollywoodien, avec son charme désuet et ses mélodies inoubliables, a longtemps occupé une place spéciale dans mon cœur de cinéphile. Cependant, en revisitant ce film récemment, avec un regard plus aiguisé sur les questions de genre et de féminisme, je vous explique à quel point il est problématique.

George Cukor était un réalisateur de cinéma américain d’origine américaine-hongroise, né le 7 juillet 1899 à New York. À une autre époque donc … George Cukor a commencé sa carrière dans l’industrie cinématographique en tant qu’assistant réalisateur avant de devenir réalisateur à part entière. Il a réalisé plus de cinquante films tout au long de sa carrière, couvrant différents genres, mais il est surtout connu pour ses comédies sophistiquées et ses drames psychologiques. Cukor était particulièrement réputé pour sa direction d’acteurs et son travail avec les actrices. Il a travaillé avec certaines des plus grandes stars de l’époque, notamment Greta Garbo, Katharine Hepburn, Joan Crawford, Judy Garland et Audrey Hepburn. Il a remporté l’Oscar du meilleur réalisateur en 1965 pour son travail sur le film « My Fair Lady », une adaptation de la comédie musicale à succès. Parmi les autres films notables réalisés par George Cukor, on peut citer « Les Girls » (1957), « A Star Is Born » (1954), « Adam’s Rib » (1949), « The Philadelphia Story » (1940) et « Camille » (1936).

Cet article contient des SPOILERS.

Résumé du film

My Fair Lady est une adaptation cinématographique de la comédie musicale éponyme de Alan Jay Lerner et Frederick Loewe (1956). L’histoire se déroule à Londres, à l’époque victorienne. Eliza Doolittle (interprétée par Audrey Hepburn) est une fleuriste au langage familier (mais le film l’a fait passer pour grossière) et au fort accent cockney. Un jour, le professeur de phonétique renommé, Henry Higgins (joué par Rex Harrison), rencontre Eliza et parie avec un ami qu’il peut la transformer en une femme de la haute société en seulement six mois. Son atout maître ? Son expertise linguistique ! Il est convaincu qu’il peut changer sa façon de parler et ainsi sa façon d’être. Philosophiquement c’est très intéressant. Le langage : un outil du pouvoir des élites ?

Ainsi commence le périple d’Eliza, qui se retrouve plongée dans un monde de règles strictes, de diction parfaite et de coutumes élégantes. Sous la tutelle tyrannique et dédaigneuse de Higgins, Eliza est soumise à des leçons de langage intensives, à des répétitions épuisantes et à une remise en question constante de son identité. Quelques scènes d’entraînement à son expression orale sont clairement des manières anciennes d’enseigner (jusqu’à l’épuisement et les crises de nerfs !).

Au fur et à mesure que la transformation d’Eliza progresse, une relation complexe se développe entre elle et Higgins. C’est peut-être une part de syndrome de Stockholm. Eliza aspire à être reconnue et respectée en tant que femme indépendante, tandis que Higgins voit en elle un simple projet sur lequel exercer son expertise linguistique. Le film explore les tensions entre les classes sociales, les notions de pouvoir et la complexité des relations humaines. Entre les deux personnages, une empathie étrange se développe.

Alors qu’Eliza fait des progrès impressionnants dans son apprentissage, elle se retrouve confrontée à des choix difficiles et à une remise en question de sa propre identité. La question de savoir si elle pourra se défaire des attentes de la société et se forger une vie qui lui est propre devient le point central de l’intrigue. Cette question est centrale, elle porte sur les origines sociales et les déterminismes. Elle devrait intéresser tous les sociologues en culotte courte.

My Fair Lady est une comédie musicale inoubliable qui met en avant la transformation d’une femme en quête d’identité et de liberté. Elle nous fait réfléchir sur les questions de classe, de genre et de pouvoir, tout en nous divertissant avec des numéros musicaux entraînants et des performances d’acteurs tout de même remarquables. Et ça, on ne pourra pas m’enlever que la comédie musicale est toujours réussie aux États-Unis ! Papa America sait comment faire danser de la pauvrette et de l’aristocrate avec des phrases moralistes bien pensées. Personnellement, les scènes chantées me touchent encore beaucoup.

Quelques points positifs pour une innovation cinématographique

D’abord, permettez-moi de souligner les aspects positifs de My Fair Lady. La performance de l’actrice Audrey Hepburn dans le rôle d’Eliza Doolittle est tout simplement incroyable. Sa voix, son charisme et son talent indéniable font de ce personnage une figure mémorable du cinéma. Les numéros musicaux sont correctement chorégraphiés, passant d’une charrette à légumes à une charrette à fleurs, d’un trottoir à un autre, dans un décor artificiel mais qui fait l’affaire, et les costumes somptueux nous transportent dans l’Angleterre victorienne avec une élégance exquise. Je salue donc les décors très typiques du studio hollywoodien dans lequel on tourne les comédies musicales.

Du point de vue musical, My Fair Lady est un succès. Les chansons de Lerner et Loewe, comme « Wouldn’t It Be Loverly », « I Could Have Danced All Night » et « On the Street Where You Live », sont devenues populaires et sont toujours appréciées aujourd’hui. Les numéros musicaux sont réalisés avec précision et énergie, combinant des performances vocales et chorégraphiques de qualité. Ce n’est pas une comédie musicale bas de gamme. Même si pour les enfants des années 2000, je suis certain que cela ne passe pas. Génération Tik Tok en PLS avec My Fair Lady.

Les acteurs principaux

Les performances des acteurs sont excellentes, surtout les rôles secondaires qui apportent des touches d’humour bienvenues dans cet univers tendu du slipax avec Eliza qui crache des billes et Higgins qu’on empêche de l’étrangler. Audrey Hepburn, déjà une star internationale à l’époque, relève le défi de jouer Eliza Doolittle, un rôle exigeant qui nécessite des compétences vocales et d’interprétation. Elle a fait des essais. Elle est prête. Pourtant, elle est doublée pour les parties chantées par Marni Nixon, néanmoins Hepburn apporte une grâce et une sensibilité remarquables à son personnage, capturant à la fois sa vulnérabilité et sa détermination. La voix d’Audrey n’a pas convaincu les producteurs, bien qu’elle sache parfaitement bien pousser la chansonnette comme dans Funny Face (j’en parle ici) ou dans Diamants sur canapé où elle reprend le titre Moonriver.

Rex Harrison reprend son rôle de la production de Broadway en tant que professeur Higgins. Son interprétation est convaincante, combinant charme et arrogance. Sa diction précise et sa capacité à délivrer des répliques cinglantes correspondent parfaitement au personnage complexe qu’il incarne. Son personnage est aussi là pour critiquer l’intellectuel zélé dont les ambitions le mènent loin des affaires du cœur, affaires qui le rattraperont … une partie du film sert à moquer la futilité du monde aristocratique, notamment grâce à la scène culte de la course de chevaux, que personnellement je trouve la plus réussie de tout le film.

Le contexte de production du film

En ce qui concerne le contexte du cinéma hollywoodien de l’époque, Audrey Hepburn était déjà une actrice renommée, ayant remporté un Oscar pour son rôle dans « Vacances romaines » en 1953. Cependant, lors de la production de My Fair Lady, il y a eu une certaine controverse concernant le choix d’Audrey Hepburn plutôt que Julie Andrews, qui avait joué le rôle sur scène. Cette dernière jouera à la place en 1964 dans Mary Poppins et obtient l’oscar de la meilleure actrice en 1965 contrairement à Audrey Hepburn, jugée trop maniérée et ne chantant pas elle-même ses chansons.

Cependant, l’aura mondiale d’Audrey Hepburn, son charme naturel et sa grâce ont été des atouts essentiels pour le film, qui visait un public plus large que les fans de Broadway. La décision de la choisir pour le rôle d’Eliza Doolittle s’est avérée être un succès, car Hepburn apporte une sensibilité et une émotion uniques à son personnage, ajoutant une couche supplémentaire de profondeur à l’histoire, la mode étant aux femmes fortes mais à l’air ingénu.

Des problèmes de représentations féminines

Toutefois donc, il est important d’aborder les problèmes de représentation et de traitement des femmes dans ce film. L’intrigue repose sur la transformation d’Eliza, une femme de la classe ouvrière, en une « lady » digne de fréquenter les élites de la société. Cela se fait sous la tutelle du professeur Henry Higgins, interprété par Rex Harrison. Bien que l’intention puisse être de montrer la lutte d’Eliza pour trouver sa voix et sa place dans une société patriarcale, le film échoue à véritablement explorer cette thématique. Cette histoire est peu crédible. Elle reprend le mythe du Pygmalion où le créateur tombe amoureux de sa créature. L’ascenseur social que vit Eliza Doolittle est peu probable et l’opposition entre femmes de l’élite et femmes de la « plèbe » est grossière bien qu’un tant soit peu moqueuse de la part des scénaristes. Eliza se refuse à sa transformation. Elle, qui, fâchée avec sa famille, décide de se réconcilier avec ses propres racines et d’oublier ses rêves de devenir « quelqu’un », finit par retrouver cette simplicité et cette générosité de cœur qui sont siennes.

Le problème majeur réside dans la relation entre Eliza et Higgins. Le professeur, avec son arrogance et son mépris constant envers elle, est présenté comme un personnage complexe et intéressé. Il se fait gronder par sa maman, rejeté par son ami qui comprennent tous deux qu’il est allé trop loin dans son orgueil de mâle blessé. La scène où il répond à sa mère est d’ailleurs d’un potentiel comique intéressant. Pourtant, ses actions et ses paroles dégradantes envers Eliza sont difficilement justifiables, même en tenant compte de l’époque victorienne. Au lieu d’encourager l’émancipation d’Eliza, il la réduit à un simple projet, un jouet sur lequel il peut exercer son pouvoir et sa domination. Les scènes sont assez violentes et constituent des illustrations d’agressions physiques et morales ainsi que du harcèlement moral : les scènes où Eliza est forcée de prendre une douche, celles où le professeur Higgins lui hurle dessus, sans parler de la scène finale, pinacle du patriarcat.

En évoquant d’autres films de la même époque, tels que « Irma la douce » de Billy Wilder ou « Le guépard » de Visconti, on peut observer une tendance similaire où les femmes sont présentées comme des figures traditionnelles, bloquées dans des conservatismes sexistes, objets à être modelés et transformés pour répondre aux attentes masculines. Ces films romantiques mettent souvent en avant une vision romantique de la féminité qui ne reflète pas la réalité complexe des femmes.

Pourtant, au même moment, le féminisme des années 60 est né …

Le mouvement féministe des années 1960 a été un moment crucial dans l’histoire de la lutte pour l’égalité des sexes. Il a émergé en réaction aux normes et aux rôles de genre strictement définis qui limitaient les femmes dans tous les aspects de leur vie. Les féministes de cette époque ont remis en question l’idée selon laquelle les femmes devaient se conformer à des attentes traditionnelles telles que le mariage, la maternité et la domesticité. Elles ont revendiqué le droit à l’autonomie, à la liberté sexuelle et à la participation active dans la société. Le mouvement a été marqué par des manifestations, des grèves et des rassemblements, ainsi que par des écrits et des discours puissants. Des figures emblématiques comme Betty Friedan, Gloria Steinem et Simone de Beauvoir ont joué un rôle majeur dans la promotion de l’égalité des sexes et ont contribué à inspirer des générations de femmes à se battre pour leurs droits. Grâce à leurs efforts, le mouvement féministe des années 1960 a jeté les bases d’une transformation sociale qui se poursuit encore aujourd’hui.

Bizarre donc qu’en 1964, My Fair Lady vienne nous séduire avec sa manière toute vieillotte de traiter des femmes et des hommes. Pourtant, n’oublions pas que la comédie musicale permet de proposer un pas de côté, un autre regard sur la situation :

Parce que plus tard, on a fait pire ? Le problème de Pretty Woman

Il est important de mentionner le remake raté de My Fair Lady, « Pretty Woman« , avec Julia Roberts en 1990 soit trente ans après. Oui, pour moi, il s’agit d’un horrible ratage. Une erreur titanesque du parcours de Julia que j’adore, Julia si belle, si rayonnante, … bref. Bien que ce film soit généralement apprécié du grand public, il perpétue également une vision problématique des femmes. Dans « Pretty Woman« , une prostituée est sauvée par un homme riche et puissant qui lui offre une vie de luxe et de confort. Cette histoire romantique est basée sur des inégalités de pouvoir flagrantes et renforce les stéréotypes de genre préjudiciables. Sous couvert de Julia Roberts, femme forte des années 80-90, nous découvrons, sous nos yeux éberlués, des scènes assez aberrantes de sexisme et proches du harcèlement ou de l’agression sexuelle par domination masculine ou par abus de faiblesse.

Une partie des scènes cultes de My Fair Lady y sont réinterprétée mais sans les parties chantées (la scène de courses de chevaux, la scène du repas, etc.)

Mais que trouver d’intéressant dans My Fair Lady ?

Bien que My Fair Lady soit un film qui a marqué son époque et qui continue de charmer les amateurs de comédies musicales, il est important de reconnaître ses failles à la lumière du féminisme. Le traitement des femmes dans le film, en particulier la relation entre Eliza et Higgins, soulève des questions profondes sur l’autonomie des femmes et les relations égalitaires. En tant que cinéphile féministe, je ne peux m’empêcher de remettre en question ces représentations et d’encourager une réflexion plus critique sur les films que nous aimons, même ceux qui ont une place spéciale dans notre cœur. Rendre romantique une relation ambiguë et violente fondée sur le harcèlement de l’un sur l’autre n’est pas une bonne chose pour les jeunes personnes qui regardent ce type de longs métrages.

Note personnelle: Bien que j’ai usé la cassette VHS de My Fair Lady à force de le regarder, j’espère que cette critique vous encourage à revisiter ce film avec un regard plus aiguisé sur les enjeux de genre et à engager des discussions constructives sur les représentations problématiques dans le cinéma.

Merci de m’avoir accompagné dans cette réflexion féministe sur My Fair Lady.

Une autre réflexion cinéphile ici : Funny Face avec Audrey Hepburn.

Signé Tassa


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