J’ai vu Babylon de Damien Chazelle [Critique de film, drame, 2022]

J’ai été voir le film Babylon sur un coup de tête en cherchant « le film qu’il faut absolument voir sur grand écran », car il y a désormais cette catégorie de films qu’on peut tout à fait regarder sur petit écran, catégorie qui pourtant ne rentre pas dans celle des « films de télévision ». Bref. J’ai vu Babylon. Il était, en France, acclamé par la critique, et livré comme la plus grosse claque de 2022/2023 pour les amateurs de bons films à pop corn.

Mais de quoi s’agit-il ? Babylon est un film réalisé par Damien Chazelle, celui-là même qu’on a connu pour Lalalalaland (je ne sais plus combien il y a de la la mais vous me comprenez) ou bien le très beau First Man en 2018 et mon coup de cœur Whiplash en 2014. Le film met en scène un charmant casting, avec, entre autres, Brad Pitt, la révélation Diego Calva et la très remarquable Margot Robbie. Le film se déroule à Los Angeles dans les années 1920 et raconte l’histoire d’un Hollywood à la fin du muet, dans l’antre des grands acteurs et actrices, à l’ambition démesurée et victimes d’excès les plus fous.

Si vous vous attendiez à voir un film classique et pépère qui rend hommage au cinéma hollywoodien, accrochez-vous car la séance démarre sur les chapeaux de roues. Les premières images suivent le rythme endiablé tant à l’image que musicalement, on sait déjà que Damien Chazelle reprend le tempo saccadé à la manière de Whiplash, même si, pour moi, son film sur les fondus de percussions reste inégalable et inatteignable. Il faut dire que Babylon est un gros film et un film à gros traits (mais pas à grosses ficelles !) dont les qualités ne reposent pas sur la modestie. Là où dans Lalaland et dans Whiplash, le cinéaste cherchait un peu plus de contraste et de finesse, dans Babylon il exulte et en même temps, il ch*e sur tout le monde (désolée pour ce terme insipide immédiatement censuré par mon clavier). Toutes les images de Babylon sont chargées de métaphores lourdes, toutefois facilement compréhensibles. On se saisit rapidement des images qui « expliquent » le film : le gros éléphant (c’est un éléphanteau plutôt?) au début du film qui ne passe pas la route sans efforts. D’entrée de jeu, Damien Chazelle nous prévient : vous entrez là dans un monde où l’humain est l’éléphant qui marche dans un magasin de porcelaine. Vous ne pourrez pas dire que vous ne saviez pas.

Babylon : un film sur Hollywood

Le film suit une poignée de personnages à Hollywood pendant une dizaine d’années cruciales, celles qui voient la fin du cinéma muet et l’avènement du parlant. De ce fait, ce long métrage rend un hommage direct à ce que je considère être des chefs d’œuvre : tout d’abord, « Sunset Boulevard » (1950), un classique du film noir qui explore la vie sombre et tragique d’une ancienne star du cinéma muet à Hollywood, puis « Singin’ in the Rain » (1952), comédie musicale fétiche de l’auteur de LalaLand (c’est le classique qui raconte l’histoire d’une star du cinéma muet qui doit s’adapter au cinéma parlant à l’époque de la transition). Par conséquent, on peut dire que pour Hollywood le sujet était d’or et qu’il resta brûlant encore assez longuement, puisqu’en 2011, Michel Hazanavicius réalisa « The Artist », d’une beauté incomparable sur ce même thème.

Film holistique ou totalitaire ?

Malgré cela, Babylon n’en prend pas la route. Il ressemble plutôt aux films sur la décadence que je vous ai décrits ici, ici et ici (Citizen Kane, La Dolce Vita, etc.). Parce qu’en effet, plutôt que d’être plaisant à voir esthétiquement et scénaristiquement, Babylon est un film douloureux à regarder. Il est saccadé, très généreux, très coloré, mais aussi très sombre et exubérant. C’est comme si quelqu’un avait décidé de montrer à quoi ressemble un cauchemar ou un bad trip en 2h30 sur pellicule. On pourrait le considérer excentrique à la manière d’Ed Wood (1994), le film qui dépeint la vie du pire cinéaste « de tous les temps ». Par ce jeu de miroirs, Damien Chazelle a pensé son film pour qu’il agisse sur nous en tant qu’un catalyseur d’images. Sortir de cette séance, ce fut comme sortie d’un mauvais trip, une substance ayant dilaté votre cerveau au point que vous acceptiez que ce film est une expérience imparable, immorale (ou amorale ?), qui oscille entre « j’ai voulu faire un film totalitaire » ou « j’ai voulu faire un film holistique sur le grand Tout ». Totalitaire est le film qui vous prend en otage sans que vous puissiez en sortir indemne. Holistique est le film qui par métonymie représente la société dans laquelle nous vivons à un instant T d’une façon si juste qu’on s’y retrouve. Et Babylon est un film sur ce qu’est l’Amérique aux yeux de Chazelle.

Nous retrouvons en effet l’histoire très courante de l’immigré venu d’Amérique du Sud qui se rêve au cinéma, de l’ascension sociale d’une jeune femme prête à tout pour un rôle, etc. Rien de plus classique. Pour autant, ce film est un choc visuel et culturel.

De fait, pour les critiques aussi politiquement corrects que sont le Américains, le film Babylon est tellement choquant (Trigger warning Sexe, Drugs, Alchohol, Violence, Suicide, etc.) qu’il en est devenu dégoulinant de stupidités modernes (ce n’est pas ce que je pense). Là où ces mêmes États-Uniens hissent Fight Club de David Fincher (1999) dans le top 5 des meilleurs films de tous les temps aux côtés de It’s a Wonderful Life de Frank Capra (1946) et de Citizen Kane, c’est bien qu’il existe une faille spatiotemporelle entre le film qui dénonce et le film qui balance tout sans préavis. L’Amérique n’était pas prête pour Babylon. L’accueil plus que mitigé sur ce continent en fit un échec commercial pour Damien Chazelle qui enchaînait de beaux succès. Néanmoins, la France 🇫🇷 vint sauver le fils prodigue. Les Français et les Françaises virent en Babylon ce qu’ils et elles n’osaient pas dire de Hollywood. Une manière franche et sincère d’approuver la critique et de déverser son fiel sur un système qui broie ses stars et fabrique des victimes collatérales. (Comme si c’était bien mieux chez nous …)

Oui, donc Babylon décrit comment Hollywood incarne le grand méchant loup. Ce n’est pas le Loup de Wallstreet mais la tanière du lion cinématographique qui vient enfoncer ses crocs dans la gorge de frêles et pâles créatures telles que Diego Calva et Margot Robbie au summum de leur performance. J’ai apprécié l’aspect comédie dramatique. On est tellement tendus tout au long du film qu’on rit pour un rien des situations les plus absurdes, de l’éléphant, en passant par Margot Robbie qui vomit, attrape un serpent à sonnettes à mains nues, Brad Pitt qui tombe du balcon, ou bien des scènes de figurants et de techniciens décédés sur un tournage, etc. On rit de cette cruauté insatiable que produit le cinéma par l’image. C’est vrai ça, je m’interroge finalement : c’est fou d’être à ce point sado-masochiste et d’en arriver à aller voir des dealers de drogue se mettre sur la gueule ou des soldats se tirer dessus. Sommes-nous tous fous et folles au point de désirer regarder la violence sur grand écran ?

Peut-être. En tout cas c’est ce que propose Damien Chazelle. Même si j’ai regretté que le film devienne parfois ce qui était appréciable tout en étant regrettable chez Baz Luhrmann dans Moulin Rouge ! (2001) et Gatsby le Magnifique (2013), soit un trop-plein baroque d’images bruyantes et d’émotions exacerbées. Si on frôle l’overdose, le film ne frôle heureusement pas le ridicule.

Un film prévisible ?

Bien construit, le scénario pâtit d’un creux en plein cœur, car le film est long, divisé en plusieurs parties. Comme il est écrit pour être lourdaud, l’on sait dès le départ quelle en sera la fin (Margot Robbie énonce d’elle-même dès les premières minutes sa fin romantique et Brad Pitt en fait de même quelques temps plus tard …). Cependant, attention, Oula je vous vois venir, la fin n’est pas si prévisible que cela. En n’offrant pas une résolution des plus classiques, Damien Chazelle fait une proposition de cinéma en mode « happy ending » et alors qu’il écrit la fin que tout film hollywoodien se doit d’avoir, les dernières images m’ont décroché des larmes de satisfaction. Les dernières minutes du film sont en effet l’apothéose, le climax véritable, l’ataraxie enthousiasmante et cathartique que nous attentions tous et toutes dans la salle. J’avais ressenti cette même sensation mystique dans The Tree of Life de Terrence Malick.

Voilà. Outre le fait qu’il est vrai qu’avec du recul, je pense que le film de Damien Chazelle ne se regarde pas en mangeant du pop-corn mais en l’avalant, outre l’outrance de certaines images qu’Hollywood censure allègrement (trigger warning : pornographie, vomis, cruauté animale, cruauté et sévices sur humains, etc.), parfois le cinéaste efface la violence de l’image et la violence devient sous-entendue et vaporeuse. Et l’on ne peut s’empêcher d’aimer violemment les personnages puis de les haïr tout aussi violemment.

Quelques scènes ne s’effaceront jamais de ma mémoire, scènes qui me ramènent à des mastodontes tels que Stanley Kubrick filmant la folie, ou bien Stanley Donen et Gene Kelly filmant la tristesse ou la mélancolie.

J’ai détesté que Damien Chazelle aille au bout de son idée sans chercher à nous prévenir. Car d’habitude, on peut critiquer un film en disant que l’auteur n’est pas allé au bout de son idée. Oui on peut. Mais là, on ne peut pas. Chazelle filme le cauchemar inouï d’une décennie de cinéma. Il nous fait comprendre ce que le passage du muet au parlant a fabriqué de nuisance, comme de beauté, il nous fait saisir à quel point les femmes ont été brimées, agressées, violentées, il nous fait voir comment les hommes alimentaient ce système, tel le hamster qui court indéfiniment dans sa roue… il nous renvoie au visage le racisme, l’ignorance, la bêtise humaine de toute une entreprise dont le but lucratif est de nous vendre du rêve. Bref, le rêve américain ? Très peu pour moi. Et le souci, c’est que Damien Chazelle finit dans une pirouette par nous dire « voyez, tout cela est cruel, mais cela nous a offert les plus beaux chefs d’œuvre et cela m’a donné les films qui ont inspiré ma carrière et ce pourquoi je me tiens devant vous »… une fin égocentrée.

Babylon est-il un chef d’œuvre tel que Sunset Boulevard ? Très probablement il l’est, même si pour le moment il m’a donné des hauts le cœur et du vague à l’âme. Il s’inscrit dans cette longue liste de longs métrages sur l’âge d’or et la décadence du tout Hollywood.

Signé Tassa


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