J’ai vu Canailles [Critique de film, comédie dramatique, 2022]

Le cinéma français fait son chemin. Après mes incursions dans la beaufitude franchouillarde, le divorce à la française, et la crise de la masculinité, je me rends coupable de fétichisme du mauvais film. Oui je l’avoue, j’exulte à l’idée d’offrir une critique qui garnira mon blog avec mon air bourgeois de « je sais tout » du cinéma. J’avoue. J’avoue. Mais j’accuse aussi les boîtes de production et de distribution françaises qui font le beurre d’une industrie bancale pour le cash et moins pour la gloire (y a pas de mal à chercher la gloire). Le truc c’est qu’au bout d’un moment, même si cela fonctionne auprès d’un certain public, véhiculer de tels clichés ne peut être que contreproductif …

J’ai donc vu Canailles, film sorti en 2022 et réalisé par Christophe Offenstein. En voyant l’affiche, on oscille entre le genre de la grosse comédie Cluzet/Garcia/Tillier, sortes de mastodontes du cinéma populaire actuellement, et le genre dramatique du braquage, tradition qu’en France on aime bien traiter de temps en temps.

Pourtant adapté du roman de Iain Levison (Une canaille et demie) datant de 2006, le scénario ne me semble pas du tout fidèle à l’esprit du livre original…

C’est l’histoire d’un casse qui tourne mal, et du braqueur en fuite, qui atterrit chez le prof d’histoire qui n’a rien demandé. Une enquêtrice se met en tête de le retrouver.

Voilà c’est aussi simple que cela. Le synopsis est classique. L’entrée en matière est tout aussi classique. On commence par un braquage, un peu bâclé, puisque on n’a pas ou peu d’implication du personnage central dans le braquage en tant que tel. La personnalité du braqueur joué par François Cluzet n’est pas « expliquée » ni « racontée », et ne transparaît qu’à travers une gestuelle faite de râles, de grognements et d’invectives.

Il n’y a pas de ressorts comiques dans ce long métrage qui s’est vendu comme une comédie. Si Dora Tillier, François Cluzet et José Garcia sont connus pour des drames comme pour des comédies, on voit que dans ce film, ils ont voulu jouer la carte de la tragédie plutôt que de l’humour. Le braqueur est énervé puis calme puis énervé, le professeur d’histoire joué par José Garcia feint l’étonnement, la peur, la colère, mais on n’arrive jamais à toucher du doigt la juste émotion. C’est là que la direction d’acteurs fait plouf. Car aucun de ces trois acteurs n’est mauvais à la base.

Le film pâtit du lourd héritage de la tradition burlesque à la française. Plutôt que de tirer à gros traits les ficelles du film de braquage, le cinéaste Christophe Offenstein a choisi un style plus bateau, celui du téléfilm, car on sent presque la caméra posée comme si on tournait une publicité ou l’épisode d’une série. Point d’ambiance rocambolesque à base de jeux de mots comme dans Les Tontons flingueurs (1963), point de colères légendaires comme dans Le père Noël est une ordure (1982), pourtant on assiste bien à la joute verbale entre une ordure (le braqueur) et un bras cassé (le prof). Il n’y a aucune volonté de parodier le genre non plus (comme dans L’année du requin de 2022). Dora Tillier joue l’enquêtrice de la police, très sérieuse, elle est impeccable et implacable. Elle sait ce qu’elle veut. Elle met le holà dans la rue lorsque la jeunesse se déprave (c’est pas moi qui le dit c’est le film qui le montre). Maman modèle (ou pas), elle a de l’idée, et vous allez voir que ça la mènera loin … son rôle très sérieux et concret empêche le film d’entrer dans la comédie avec les deux pieds. On est donc le cul entre deux chaises, sans aucune attente particulière.

La première demi heure est passée, Cluzet a hurlé comme un putois en boitillant et Garcia s’est fait tabasser… à partir de là, plus rien ne va dans la gestion des personnages. Oui parce qu’on pourrait presque parler de management des personnages, tant je pense qu’ils ont été traités comme employés d’une succursale annexe du cinéma français. On ne sait pas bien ce qui s’est passé pour que cela se déroule ainsi. On ne sait pas comment ressentir un malaise avec les sous intrigues (le prof et l’étudiante, sans spoiler), ou l’histoire entre la flic et le prof (sans spoiler). On frôle la « gênance » maximale et c’est moins bien que la « kiffance », parce qu’on perd du temps à se dire « mais je n’aurais jamais fait comme ça ». Il y a aussi beaucoup d’incohérences dans ce film. Là où celui-ci devrait proposer une descente aux enfers ou une spirale infernale, aucun motif de ce genre (ou alternatif, comme dans 9 mois ferme, 2013) n’est présenté.

On ne voit d’ailleurs aucun hommage cinématographique dans le scénario. Point de quiproquos comme dans Les Trois Frères (1995) ou les éternels films de duos iconiques : La Chèvre (1981) ou Le Boulet (2002). José Garcia aurait été tellement bien dans un rôle plus comique, faisant gaffe sur gaffe. On comprend son envie d’avoir choisi le registre dramatique pour satisfaire probablement un besoin de « faire autre chose ». François Cluzet devient son propre cliché, et ce n’est pas la première fois qu’il le fait. Il est le personnage gueulard des Petits mouchoirs de Guillaume Canet ou pince sans rire d’Intouchables (2011). Malheureusement, l’alchimie entre les acteurs n’existe pas. Le film tourne en rond et dans le vide. La fin, qui devrait constituer un retournement de situation essentiel à la résolution du film, nous laisse sans voix parce qu’on n’y attache finalement aucune importance. Sur le papier, cela devait paraître alléchant. Mis en scène, on n’est pas loin d’un loupé sûrement lié au budget. La résolution très « cheap » se déroule dans une voiture puis dans une cuisine, mais on ne ressent aucune affinité avec les personnages et aucune accointance avec le côté « vilain » (anglicisme) des personnages (qui ont tous quelque chose à se reprocher). Il n’y a même pas l’effet de huis clos. Car ce qui aurait dû être un film de braquage à suspens avec un huis clos intéressant entre deux personnages dans une maison, un thriller haletant doté d’un trio dont chaque histoire est mystérieuse, finit pour n’être qu’un gloubi-boulga sans nom d’effets de manche.

Ce n’est même pas un film cousu de fils blancs (au contraire puisqu’on est étonnés par la fin), c’est juste un mauvais film par son traitement. On attend mieux d’acteurs qui ont plus de quinze ans de carrière derrière eux/elles. Le réalisateur est sûrement meilleur pour filmer Orelsan ou les enfants de Placés… on dira donc que c’est une erreur de parcours.

Signé Tassa


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