Pourquoi Space Force (série) n’a pas fonctionné ? [netflix]

Space Force est une série que j’ai adorée, mais qui n’a eu que deux saisons sur Netflix. La raison de cet échec est selon moi un simple problème de concordance des temps. Quelques explications…

Résumé : Le 18 juin 2018, le gouvernement fédéral annonce la création d’une 6e Division au sein des forces armées américaines. L’objectif de cette nouvelle section : défendre les satellites contre des attaques et exécuter diverses missions liées aux opérations spatiales… plus ou moins. (Source : Allociné)

Space Force est une série comique créée par l’un des auteurs de The Office et l’acteur principal de la même série, Greg Daniels et Steve Carell. Portée par deux impressionnants acteurs-comédiens, Steve Carell et John Malkovich, la série n’a pourtant pas résisté à la pression de l’audience depuis 2020 en s’arrêtant brutalement au bout de la seconde saison, alors même que les enjeux étaient grands. Chaque épisode fait 30 minutes et décrit le quotidien, tant dans la vie professionnelle que privée, du général Mark Naird. Son nom de famille fait écho à « nerd » pour « ringard » ou « intello » ou encore « grosse tête » en anglais.

Les références à la science-fiction et aux films du genre sont nombreuses. Elles impliquent une connaissance sérieuse du milieu de la SF pour les spectateurs, bien qu’il s’agisse d’un univers de niche. Ainsi, le docteur Adrian Mallory, avec qui le général Mark Naird s’entend très mal, est le directeur scientifique de la Space Force (interprété par John Malkovich, très doué pour simuler la folie vs l’imperturbabilité). Son rôle est une parodie assumée du Docteur Folamour, personnage iconique du cinéma de la guerre froide (Dr Strangelove de Stanley Kubrick, 1964).

D’ailleurs, la même paranoïa des films de SF de la guerre froide règne dans la série Space Force proposée par Netflix, le sujet de la mégalomanie américaine étant déplacé à un conflit « L’Amérique versus le reste du monde (c’est-à-dire la Chine et la Russie) ».

La piste de l’humour et de l’absurde

La scène d’ouverture dans le premier épisode pilote de la série est un bon exemple de l’absurdité dont fera preuve la série. Dans cet épisode intitulé « Le lancement », métaphore qui caractérise l’audace de cette nouvelle série télévisuelle, le ton est donné par le discours franchement bancal du général joué par Steve Carell face à deux membres de sa famille (Lisa Kudrow toujours géniale) lorsqu’il reçoit les honneurs de sa nouvelle promotion. Les acteurs choisis sont caricaturaux par choix, ce qui est très intéressant. Ben Schwartz ou Noah Emmerich font partie d’une distribution judicieuse qui moque les élites s’occupant des affaires spatiales et de l’armée. Quelques scènes jouissives, dont les réunions entre les têtes pensantes et exécutantes de l’armée, viennent ponctuer les débuts d’une série qui se veut avant tout cynique sur le rôle tenu par les États-Unis dans la conquête de l’espace. L’apparition brève de Jane Lynch (Glee) en cheffe des opérations navales est vivifiante !

L’attachement aux personnages est une des forces de la série. Chacun partage un trait commun : un grain de folie. Quand le général semble rationnel et posé face à sa femme, emprisonnée après un épisode de dépression maniaque, il est en fait poussé à bout par sa hiérarchie et par son acolyte le Docteur Mallory. Pour rester serein et se rappeler qu’il vit une situation tout à fait normale, Steve Carell se met régulièrement à chanter et à danser.

Le comique de répétition est aussi utilisé maintes fois, avec l’entrée indésirée et forcée du docteur Mallory dans le bureau du général. D’ailleurs Steve Carell reprend un peu son rôle dans The Office en jouant le benêt ou plutôt le naïf face à des situations trop complexes pour sa stature de militaire. Dans l’épisode 5, l’équipe de la Space Force doit s’entraîner sur un champ de tir pour simuler une attaque avec un match de airsoft (entraînement hypothétique contre une équipe spatiale adverse ou contre des extraterrestres, qui sait ? pour figurer la rivalité entre Space Force et Air Force). L’énormité de la situation est caricaturée au point de ressembler à une parodie délibérée d’un autre film de Kubrick : Full Metal Jacket.

Le film emprunte aussi aux clichés habituels de la science-fiction, en utilisant la compétition avec la Chine ou la Russie comme moteur principal à la conquête spatiale. Malheureusement, et pour se moquer de la NASA, les essais de lancement de fusée sont constamment des échecs malgré le déploiement financier et technologique de la base armée secrète dans laquelle travaillent Mallory et Naird. Lorsque Naird apprend qu’un des vaisseaux qui a explosé en cours de lancement coûtait « 4… écoles primaires », ce dernier fait une tête contrariée, mimant l’enfant frustré par un jouet cassé. 

Le plus drôle (hilarant même) dans tout cela, c’est que lorsque le général Naird s’essaie à proposer des solutions pour résoudre les problèmes scientifiques, ce dernier fait des suggestions enfantines, irrationnelles, mais terre-à-terre, qui finalement semblent trancher avec l’impartialité, la rationalité et l’indécision des scientifiques.

Les références à Kubrick, Star Trek, etc.

La mise en scène doit beaucoup à des références un peu téléphonées, mais qui ont une importance fondamentale dans la compréhension de l’objectif global de la série. L’affiche du golfeur sur la Lune derrière le bureau de Naird est un pied de nez à la véritable NASA. La série tente en effet de montrer l’impossibilité et la non-viabilité d’une conquête de l’espace. Le postulat est bête, néanmoins accessible.

De plus, le général Naird est clair lors de sa conférence d’enrôlement au lycée Mitchell : ils sont là pour « occuper » la Lune et l’espace et non plus pour la promenade ni même pour la science. C’est là que la confrontation entre Mallory et Naird est croustillante : l’un ne désire que faire avancer la science pour le bien commun et l’intérêt général, et l’autre doit respecter les budgets et le timing pour des raisons politiques et économiques.

Cette opposition science/militaire existe déjà dans bien des œuvres de science-fiction, par exemple dans Star Trek (la rivalité respectueuse entre le capitaine Kirk et le docteur Spock). La série est prétexte à s’emparer de la thématique du racisme intrinsèque à l’armée (la scène du docteur Chan avec le général Naird), celle de l’écologie et de la biodiversité (la figure de la biologiste-géologue cherchant à répertorier les espèces de la base, située en plein désert) ou encore celle de l’éthique (l’envoi d’animaux ou d’équipes humaines dans l’espace…).

La question d’une bombe est évoquée dans le second épisode, hommage très probable au Docteur Folamour de Kubrick. Les scènes avec le chimpanzé moquent l’idée d’une éthique dans la conquête spatiale américaine et renvoient à La Planète des Singes (Tim Burton, 2001 ou Rupert Wyatt en 2011, c’est selon, même s’il existe plus de cinq adaptions du roman de Pierre Boulle).

L’épisode de la retraite (ou le stage…) du général Naird dans le faux habitat lunaire est génial et nous rappelle Interstellar (Christopher Nolan) et Seul sur Mars (Ridley Scott). Les scénaristes y ajoutent une touche de « téléréalité » en montrant une équipe qui se dispute pour un rien. La désillusion des équipes fait d’ailleurs penser à celle dans The Alien du même Ridley Scott (qu’il est fort ce Ridley !)

Un ancrage réaliste trop en avance sur son temps

Si la série n’a pas pris, si le public n’a pas trop adhéré, c’est que celle-ci est trop en avance sur son temps (selon moi). Les décors et le contexte servent d’abord à justifier des affaires de mœurs et de cœur, alors que le sujet de la conquête spatiale est laissé en arrière-plan dans la plupart des scènes. En effet, les personnages auraient pu se téléporter dans un décor tout autre, par exemple, le milieu de la police, ou le milieu médical, le milieu scientifique ou militaire autre que les domaines spatiaux… tout autre domaine où l’incompétence est souvent reprochée en tout cas …!

Il n’empêche que transposer des histoires de peines et d’échec du couple ou de la cellule familiale dans une ambiance de science-fiction est éminemment moderne. Les deux créateurs de la série en font ainsi un sujet banal et normalisé, ce qui devrait amener les spectateurs à s’interroger sur notre condition humaine en général. Le public a certainement du mal à se figurer à quel point la conquête de l’espace est devenue mainstream puisque tous les films de ce genre ont pour but de rendre les personnages plus héroïques (Apollo 13 de Ron Howard en 1995 dont il y a une référence derrière le bureau du secrétaire du général Naird, Gravity d’Alfonso Cuarón en 2013 ou encore Seul sur Mars de Ridley Scott en 2015). Au lieu de cela, les deux initiateurs de la série tuent les héros dans l’œuf, en rendant Malkovitch et Carell à la fois détestables et sympathiques. Cette figure de l’anti-héros répond à celle choisie par Stanley Kubrick dans 2001, l’Odyssée de l’espace(l’homme n’est-il rien face à la technologie-la machine ?).

La fille du général Naird vient pondérer l’effort comique de la série en suggérant que l’être humain est par nature seul et mélancolique, mais qu’il/elle cherche avant tout l’amour, âme sœur, amical ou familial. Ce n’est par conséquent pas dans l’espace qu’on trouve tout cela.

C’est donc avec regret que la série s’achève à la saison 2 sur une question ouverte : les États-Unis vont-ils redevenir les rois de l’espace ? Répondant à l’actualité, Space Forcea été créée parce que Donald Trump avait envisagé en 2018 de créer une nouvelle force spéciale chargée de retourner sur la Lune afin de coiffer au poteau, Indiens, Chinois et Russes.

Signé Tassa, fan de SF.


Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *